Archive pour la catégorie ‘Les Sans-Noms’

« L’amour comme un vertige, comme un sacrifice, et comme le dernier mot de tout », Alain-Fournier

Que de fadaises, que de mensonges, que de belles paroles ne lui avait-il soufflé à l’oreille ! Ce beau parleur ! Cet homme sans vergogne, sans limite, sans contrainte ! Ce scélérat au regard charbon, à la peau levantine et aux lèvres friandises. Même aujourd’hui son cœur semble encore lui chanter l’excellence en tous points qu’il représentait à ses yeux.

Mais elle sait, aujourd’hui elle a compris la leçon, retenu la moralité. Et sa rage est toujours intacte, seulement recouverte par le voile du flegme et de la douceur.

Elle se souvient encore du tourbillon dans lequel elle s’était plongée toute entière, elle se souvient de son Esprit accaparé par les mots qu’il lui susurrait, elle se rappelle de son Corps dompté par toutes ses caresses et par dessus tout elle n’oublie pas l’écho de sa Raison  grondant et hurlant contre cet abandon total et animal de tout son être.

Cette tumultueuse histoire n’avait finalement pas duré très longtemps. Bien vite la réalité des corps et les conséquences s’abattirent sur elle et son insouciance. Le temps qui suivit ne fut finalement que sa recherche de réconfort, son absolue demande d’aide… Son incapacité totale à s’occuper de quelqu’un d’autre que d’elle même.

Lui ne lui avait apporté aucune, il n’avait été d’aucun secours, cet homme ne fut qu’un leste accroché à ses hanches et en défaire le nœud fut terriblement douloureux. Mais là où elle avait vu son dernier espoir envolé elle avait finalement trouvé son ultime allier, celui qui allait lui dire ce qu’elle devait faire et qui allait taire ce qu’il savait.

En l’espace d’une simple heure nocturne elle s’était envolée, engloutie par l’obscurité des ruelles.  Puis le temps avait lentement fait son œuvre, son cœur s’était trouvé nouvellement occupé par une petite présence grandissante et souveraine. Fragment par fragment, la colère fit place à la douceur et ces quelques années loin du monde firent d’elle la femme qu’elle était autrefois.

Malgré tout son âme gardait toujours, gravée telle une cicatrice, l’infamie de cet homme profiteur et déloyal.

« L’avenir d’un enfant est l’œuvre de sa mère », Napoléon Bonaparte

Dans ses souvenirs la matinée avait été particulièrement froide. Fugace impression, vestige d’une journée qu’elle voudrait depuis lors arracher de sa mémoire. C’était la fin de l’année, presque quatre années jour pour jour depuis la naissance de sa petite fée.

Réveiller la petite avait été pénible, sa mémoire est encore très nette, la petite fille avait refusé de se lever, sentant probablement la nervosité de sa mère, son désarroi palpable qui devait suinter par tous les pores de sa peau blafarde.

Un long bain toutes les deux, des jeux de bulles et de bateaux en bois que l’on noyait dans les vagues de savon, de longs cheveux flamboyants qu’il avait fallut peigner avec toute la délicatesse du monde pour ne pas la faire gémir de douleur sous les assauts du peigne. Un petit déjeuner de reines, elles deux qui n’en possédaient même pas l’ombre. Une longue histoire au coin des dernières braises crépitantes, comme pour compenser celle du soir qui n’aurait pas lieu. Qui n’aurait plus lieu.

Ses doigts parcoururent longuement la peau douce et frêle des bras de l’enfant, la cajolant tendrement, soufflant à ses oreilles la dernière berceuse qu’elle pourrait lui chanter avant… Sa tête s’était soudainement agitée, essayant de rejeter l’idée de la revoir bientôt, souvent, demain.

Ses yeux se rappellent encore de l’éclat hivernal du soleil au travers des vitres de leur maison. Cette petite, toute petite mais tellement douillette demeure. Leur refuge loin des familles, des lois et des règles. Ses paupières s’étaient crispées rapidement, offrant une protection sommaire face à la clarté de la lumière. Un jour froid mais tellement beau. Un jour de neige, de paix et de calme.

Elle se souvient de la rapidité avec laquelle les heures s’étaient écoulée, dans sa mémoire le bruit d’un poing contre la porte lui revient encore comme la pire agression qu’elle ait pu subir dans toute sa vie, comme le son le plus terrifiant qui lui ait été donné d’entendre. Elle avait déposé sa fille au sol, s’était levée dans un bruissement de tissu vaporeux et avait ouvert le seuil.

Il lui semble que la suite s’est déroulée dans un rêve terriblement tiède et tranquille. Aujourd’hui quand elle se remémore cette journée elle espère que c’est bien ainsi que ça s’est passé.

Sans bruit. Sans heurt. Sans larme.

Que jamais sa petite poupée fragile n’ait à souffrir de cette journée. Que son souvenir soit pour elle celui d’une douce chanson et de la chaleur réconfortante d’un foyer.
Et chaque jour depuis elle espère avoir pris la bonne décision. Qu’ainsi sa fille puisse se voir dotée de l’avenir le plus resplendissant qui lui ait été donné de lui offrir.

Et elle pense en avoir payé le prix le plus fort qu’il puisse exister.

Devoir l’abandonner.

Première parmi les Premiers elle fut une favorite. Sacrée, prodigieuse et talentueuse ses aspirations étaient à la mesure de ses compétences. Bras armé de tous les fronts elle donna Sang et Foi à la préservation humaine, auguste mission éternelle.

La rage au cœur, les désillusions s’emparèrent d’elle aussi vivaces et violentes que des gymnotes rompues d’éclairs. Le pouvoir n’affaiblit jamais que les hommes, si purs qu’ils furent souhaités les Elus se dévoilèrent avides et exclusifs.

Auguste mission éternelle… Bafouée aux yeux intransigeants de La Malsonge. Nul pardon, nul tolérance, nulle attente ne vint ranimer ses espoirs.

Unique contre tous elle s’insurgea, vociférant aux oreilles sourdes de son Dieu l’ignominie de ses Enfants, la lâcheté et l’oubli capricieux dont ils faisaient dorénavant preuve tous puissants qu’ils se pensaient.

Venue au monde dans la tourmente d’une nuit noire, dévorée par les orages, enflammée par les éclairs, noyée par le fracas du tonnerre, ses cris n’ont inquiétés nulle âme.

Déjà vorace et insatiable, la force vitale de sa matrice s’épuisa en quelques années seulement, aspirée telle un tourbillon par l’esprit dévoreur et vicieux de La Malsonge enfantine, trop immature pour comprendre l’intérêt de garder vivante celle qui la nourrissait alors.

Errante, mendiante, sauvage, Celle qui défiait les adultes grandit telle une mauvaise herbe, vivace et indestructible.

Sagace, débrouillarde, indépendante, Celle qui défiait les hommes se cultiva et progressa telle le chiendent des villes, invasive et effrontée.

Cruelle, méticuleuse, inexorable, Celle qui défiait le monde griffa son empreinte jusque dans le cœur des faibles, des valeureux, des justes et des couards.

Prétentieuse, éloquente, redoutable, Celle qui défiait l’Ordre vit s’abattre sur elle le courroux implacable des Elus d’Aion et devint la Spectatrice Immobile, l’Eternelle Maudite suspendue entre deux mondes.

A l’orée d’une conscience autre, l’âme prisonnière d’un cœur trop tendre et l’esprit entravé par des pensées trop élémentaires, la Première avait lutté des siècles durant pour rester éveillée.

La mort d’une la projetait dans le vide spectral, en stase, dans le chaos perpétuel de l’autre monde. La naissance de la suivante l’absorbait avec violence, comme une arme lancée avec fureur au front de l’ennemi. Leurs esprits se mêlaient, puis s’entrechoquaient, souvent indéfiniment, parfois finissaient par s’accorder.

Elle avait patienté, depuis la naissance de l’Originelle jusqu’à la délivrance de l’Ultime. Le chant guerrier et fédérateur des Rusées ne se ferait plus jamais entendre. Délivrée de sa malédiction, de ses entraves de chairs et de pensées autres, enfin.

Revenue d’entre les spectres, libérée de la surveillance des Parques, jamais morte mais privée de vie, La Malsonge porte de nouveau son regard sur le monde.

Toute la haine du monde concentrée entre des yeux violines et des lèvres sombres,

Que tous se souviennent à jamais

Que La Malsonge fait des cauchemars la Réalité.