Archive pour la catégorie ‘Madalen’
Son corps flottait dans une sorte de stase doucereuse et sécurisante. Elle entendait de ci de là des murmures, comme les miaulements d’un chat, ces sons réconfortants se chargeaient de la bercer, accentuant encore la béatitude qui l’enveloppait.
Elle tendit légèrement l’oreille, maintint ses yeux clos, et reconnu une chanson familière, un air qu’elle même fredonnait souvent. Un sourire vint fleurir sur ses lèvres, enfin quelque chose qu’elle connaissait, qu’elle reconnaissait.
Le Chant de la Glorieuse.
Une déception la pris soudain, un sentiment de culpabilité incroyable qui la fit se recroqueviller jusque dans son sommeil. Comment avait-elle pu l’oublier ? Elle qui l’avait pour ainsi dire mise au monde, éveillée à l’éther et à ses pouvoirs, élevée.
Comme elle lui manquait. Sa présence. Sa voix. Ses enseignements. Il lui semblait que sans elle le monde ne tournait plus rond. Il n’y avait plus personne pour marcher devant elle.
Peu à peu son corps se fit plus lourd, il lui semblait couler de cette stase tranquille pour descendre, descendre, encore et encore, s’enfoncer, se noyer dans un océan de souvenirs troubles et incompréhensibles. Mais pire que tout. La voix. Sa voix, son chant ! Disparaissait, s’éloignait inexorablement d’elle alors qu’elle sombrait dans les abîmes.
Madalen se redressa brusquement sur son lit, le corps pantelant de sueur, la main tendue et les griffes rétractées sur une main invisible, intangible. Ignoblement absente.
Ses yeux s’embuèrent de larmes, sa gorge lui semblait transpercée, sa poitrine compressée…
_Maîtresse…
La lente et lourde répétition d’une goutte qui vient s’éclater sur une surface lisse à intervalle régulier l’éveilla poussivement. Les paupières plombées, l’esprit vaporeux et la bouche pâteuse… Où était-elle ?
De minces échos d’une conversation calme lui parvenaient mais elle n’en saisissait pas le sens. Elle avait mal au crâne, comme si elle s’était enfilé à la suite tous les alcools connus des deux parties du monde. Un peu comme cette fois avec…
Les pensées de Madalen marquèrent un temps d’arrêt, son souffle aussi resta suspendu un instant. Elle avait cette sensation désagréable que l’on a parfois -voire très souvent pour elle il lui semblait- d’être certain d’avoir vécu quelque chose et de ne pas parvenir à s’en souvenir. Comme si l’on courait après sa mémoire et que celle-ci ballotait de façon incessante devant vous.
Elle avait déjà vécu ça, son corps le lui disait. Elle avait l’impression de pouvoir sentir encore les effluves sucrées des alcools de fleurs et de fruits.
Mais elle ne se souvenait pas.
Et elle certaine, jusque dans sa chair, que ça non plus ça n’était pas la première fois que ça lui arrivait.
Les bribes de la conversation lui parvinrent de nouveau avant de s’éteindre. Un grincement, des pas lourds qui se rapprochaient, et la porte de la petite chambre où elle était alitée s’ouvrit. Un homme. Grand, sombre et bien habillé.
_Réveillée ? Demanda t-il d’un sourire mutin.
Elle voulu répondre mais ne réussi qu’à éructer un borborygme vulgaire. Elle avait mal à la gorge.
L’homme ria. Un son clair et doux. Elle se prit à l’apprécier. Il vint poser délicatement ses doigts sur la peau fragile de son cou, palpa sa jugulaire et laissa traîner son ongle un peu trop longtemps.
_Il y a encore quelques heures tu n’avais presque plus de tête tu sais… Reste calme, ça ira mieux dans quelques jours. Et puis tu repartiras au front, Madie Daeva de la Gourmandise.
Le sombre bellâtre lui fit un clin d’œil, elle ne pu que froncer les sourcils. Plus de tête ? Daeva ? Front ? Madie… ?
Madalen… Ca elle s’en souvenait, ce devait être son prénom. Cette histoire de daeva aussi lui était familière. Elle en était une, peu importe ce que cela était, elle en était une c’était certain.
Mais on s’en fichait en fait, elle se sentait si fatiguée… Ses paupières se fermèrent délicatement, entraînant ses yeux rouges dans la pénombre et le sommeil. Elle s’endormit sans plus de cérémonie, bercée par les échos suaves de la voix de l’homme sombre.
***
_…die… len… Mad… Madalen !
Son corps était secoué et elle sentait une chose étrange, chaude, peser contre son épaule. Elle mit du temps à émerger et à réaliser qu’on lui parlait.
Son regard encore voilé par le sommeil se posa sur un homme de l’ombre. Elle le connaissait.
Ah oui.
Le bellâtre sombre. Il n’était pas étonnant qu’il porte la tenue d’un Juge de l’Ombre. Son esprit mit du temps à se faire la réflexion. Qu’était-ce donc cette histoire d’ombre ?
Il lui fit boire quelque chose de dégoûtant qu’elle eut le plus grand mal à ne pas recracher, mais il avait plaqué sa main sur sa bouche, quel rustre cet homme !
_Ca fait 12 jours que tu dors Madie, ça devrait t’aider à aller mieux. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas mais ça continue à t’affecter c’est certain. Ca ne devrait pas… Hm…
Il fronça les sourcils. Il était un peu plus beau comme ça encore. Elle le connaissait lui aussi. Mais d’où ?
_Repose toi.
Et il repartit une nouvelle fois. Et elle sombra une nouvelle fois
***
Assise sur la balustrade qui la séparait du vide, les pieds nus se balançant au-dessus du gouffre qui bordait Pandemonium, elle attendait. Des semaines qu’elle attendait. On lui avait dit que ça faisait presque quatre mois qu’ils l’avaient retrouvée, le cou si bien tranché qu’ils s’étaient demandé comment sa tête était restée accrochée au reste.
Cela faisait presque un mois qu’elle était complètement rétablie. Quelque chose, une sorte de bactérie créée à base d’essence éthérée lui avait été inoculée via l’arme qui l’avait -presque- décapitée. A cette pensée la main de Madalen vient légèrement effleurer la peau de son cou. Quelle horreur… Décapiter une femme… Cette simple idée la révulsait. Surtout que c’était de la sienne qu’il s’agissait.
Vaniteuse. Lui souffla sa conscience.
Un bruit derrière elle la ramena à la réalité. Son bel homme sombre. Elle lui sourit simplement. Il avait compté pour elle. Il le lui avait dit. Mais elle ne se souvenait pas. Rien. Le néant. Alors il avait fallut tout lui ré-expliquer. Tout lui redire. Le simple fait de sortir ses ailes lui avait pris 8 pénibles jours.
_Tu comptes sauter ?
_Non je compte m’envoler !
Aujourd’hui tout allait mieux. Elle ne gardait pas de réels souvenirs mais tout ce qu’on lui racontait avait un sens profond pour elle. Donc ce devait être vrai. Malgré tout un malaise la prenait à chaque fois qu’on évoquait sa dernière vie devant elle. Celle-ci avait été longue aux dires de Selford -son juge sombre comme elle l’appelait- Trop longue sans doute. Du mins était-ce la raison invoquée par les experts mandatés par la Cour de l’Ombre pour essayer de comprendre les raisons d’une telle amnésie.
Certes les Daevas perdaient la mémoire après une mort, mais uniquement par fragment. Là… Lui aurait-on dit qu’elle était une simple humaine elle l’aurait crû !
Selford lui tendit la main et ils rentrèrent ensembles.
***
On l’avait convoquée tôt ce matin. La lettre disait de venir le plus vite possible. Et maintenant elle attendait, faisant le pied de grue devant un bureau vide. Un soupir lui échappa et un des exécuteurs qui dardait son regard sur elle exulta son mépris. Elle s’en fichait. C’était étrange d’ailleurs, l’autorité de l’Ombre ne semblait pas avoir de prise pour elle.
Pourtant… Selford lui avait expliqué qu’avant ça elle était une de leurs ferventes partisanes, exécutant les ordres et les missions sans mot dire ni échec. Cela lui semblait invraisemblable, elle ne ressentait que dédain pour ces « Daevas de l’Ombre ».
_Quelque chose cloche murmura t-elle pour elle-même.
Mais elle ne poussa pas plus loin sa réflexion, l’ascenseur derrière elle portait à ses yeux un homme inconnu suivi du chef de troupe de Selford, elle avait oublié son prénom. Quelques banalités d’usage et la vraie conversation s’entama.
_Vous me dites, donc, qu’elle est prête à reprendre les armes ? J’ai crû comprendre que cela avait pris du temps…
_ Oui Monsieur, une bacille étrangère avait infecté son organisme. Nous pensons que c’est ce qui a provoqué son amnésie totale.
_Oui… Paraît-il qu’elle doit reprendre son apprentissage de zéro, c’est ennuyeux elle aurait pu rejoindre de suite les forces abyssales.
_Malheureusement son amnésie semble toucher jusqu’aux réflexes de son corps, Monsieur, elle est… Comme une Daeva fraîchement élue.
A ces mots un sourire vint fleurir sur les lèvres de Madalen, alors qu’on parlait d’elle comme si elle n’était pas là, elle en avait recraché ce qu’elle mangeait quand on lui avait révélé sa date de naissance.
L’homme -probablement un Haut-Juge de l’Ombre- la scruta de la tête aux pieds. Peut-être aurait-il voulu qu’elle baisse les yeux ?
_Bien, jeune fille, -nouveau sourire- On va donc vous trouver une légion où vous pourrez tout réapprendre depuis le début.
Les deux hommes palabrèrent encore un moment, devisant sur quel corps armé lui conviendrait le mieux, serait le plus apte à la gérer. Elle ne compris pas bien pourquoi elle devait être gérée d’ailleurs. Mais elle avait le sentiment diffus que son flegme -incompris d’elle-même- envers la Cour de l’Ombre n’y était pas étranger. Et que Selford ne lui avait pas tout raconté. Pire. Lui avait menti.
Alors elle était heureuse de sortir enfin de cette prison dorée.
_Bien, vous irez au devant de la Garde Noire et vous y entrerez, par vos propres moyens, mademoiselle.
_Mes moyens sont ceux qu’Aion me donne Monsieur. Hier, aujourd’hui ou demain je ne suis que ce qu’il veut que je sois.
Elle s’était surprise elle-même à dire ces paroles. Comme si elle les avait déjà récité des milliers de fois auparavant. Les deux hommes aussi furent surpris, mais désagréablement semblait-il, comme si ce serment les dérangeait.
Poliment, simplement, elle prit congé d’eux.
Elle avait envie de prier.