Archive pour la catégorie ‘Céleste’
« Ah ! l’amour l’amour l’amour Quand ça vous prend Faudrait partir en courant »
Pierre Perret
Assise devant son large miroir, elle regardait la brosse aller et venir dans ses cheveux, démêler les longues mèches blanches, les rendre soyeuses et lisses. A droite une de ses sœurs la coiffait. A gauche l’autre tressait les longs filaments brillants et y attachait des rubans de soie. Elle, elle était ailleurs. Loin. Dehors. Mais pas si loin non plus. Là en bas, quelque part, avec lui.
Un long soupir énamouré lui échappa qui fit pouffer ses deux jeunes sœurs derrière elle. Elle les sermonna faussement, légèrement gênée de s’être laissée prendre en pleine rêverie. Et elle allait y retourner, au milieu de son rêve éveillé, quand son frère débarqua dans sa chambre, les mains dans les poches, l’air de rien. Attitude qui n’augurait jamais rien de bon.
- Qu’est-ce que tu veux ? Demanda t-elle sèchement, elle était sûre qu’il mijotait encore une quelconque entourloupe.
- Oh moi, il feignait le détachement, je viens voir comment vont mes sœurs chéries.
Elle regarda son petit jeu à travers le miroir, attendit dans un silence patient qu’il finisse par cracher ce morceau qu’il devait retenir à grand peine. Et elle n’eut pas à attendre longtemps, il ne fit même pas attention à ses deux jeunes sœurs et vint s’asseoir aux côtés de Célestiane, la poussant sans ménagement. Un sourire chafouin collé au visage il approcha ses lèvres de l’oreille de sa sœur et y murmura un long, très long secret. Visiblement très amusé. Ce n’était pas le cas de la jeune elfe qui se leva d’un bond, furieuse.
- Comment oses-tu ?! Ne veux-tu pas te mêler de tes affaires ! Je ne t’ai jamais rien fait alors laisse moi tranquille !
- Allons, allons. Ma p’tite sœur chérie, tu sais bien que tu ne peux pas dire non. Ce serait bête que quelqu’un aille tout raconter n’est-ce pas ?
- Sors d’ici ! Et pour le reste n’y compte pas ! Tu n’es qu’un imbécile ! Elle était rouge de colère et de frustration.
Il était vexé. C’était mauvais pour elle. C’était toujours mauvais pour elle.
Le front collé à la vitre elle regardait les allées et venues à l’extérieur, elle regardait le monde vivre quand, elle, ne pouvait que subir. Elle n’avait plus mis un pied dehors depuis tellement longtemps. Elle n’avait vu personne depuis tellement longtemps. Elle ne l’avait plus vu lui depuis tellement longtemps. Une éternité. Elle avait arrêté de compter après les quatre premiers mois, lassée d’espérer que la colère de sa mère s’estompe, lassée de croire que la punition serait levée.
Lorsqu’elle avait reçu la première lettre elle avait été folle de joie. Une joie indicible. Une joie qui l’avait étouffée, enlacée, réchauffée. Et même si les suivantes lui avaient apporté beaucoup de réconfort, aujourd’hui, les mots ne suffisaient plus. Depuis trop longtemps elle se languissait -contre son gré- au milieu des tapis et des soieries de sa chambre. Et aussi fort soit l’amour qu’elle portait à sa mère. Celui qu’elle avait pour Syran dépassait tout. Détruisait tout. Logique. Raison. Compréhension.
Aussi quand arriva l’ultime lettre. Celle qui donnait le jour et l’heure elle ne se posa pas une seule question. Fuir cette maison qui était devenue sa prison. Quitter sa famille. Laisser ses sœurs. Rien, nulle réflexion, ne pu entraver sa décision.
Et sans un mot ni adieu. Sans signe avant coureur ni indice. Avec son aide. Elle les abandonna tous, sans un regard un arrière, sans un regret.
« Un premier amour jette dans le cœur de profondes racines qui étouffent jusqu’aux germes des sentiments antérieurs »
Auguste Villiers
L’agitation était à son comble depuis des jours, depuis des semaines. Derrière les hautes vitres de la maison familiale, le nez collé au carreau, elle voyait les rues se gorger d’êtres fantastiques. La guerre avait éclaté au Nord, du haut de ses 12 ans elle n’avait pas tout compris mais elle avait retenu un nom : Les Argons. Du peu qu’elle avait pu entendre elle s’en était fait une idée assez horrible pour l’empêcher de dormir la nuit, pour la pétrifier au simple fait de devoir poser le pied au sol alors que n’importe quoi aurait pu sortir de sous son lit.
- Rien ne va sortir de sous ton lit pauvre idiote ! la taquina son grand-frère. A 12 ans tu crois encore au croque-mitaine ?!
Il s’était moqué d’elle pendant des jours après ça. Vexée, elle se jura de ne plus jamais rien confier à cet avorton.
Les jours, les semaines, les mois passèrent. Ses parents lui avaient interdit de ne serait-ce qu’approcher un de ces étrangers. Mais elle en mourrait d’envie. Elle voulait savoir comment ceux-là pouvaient naître avec des cornes, et les autres là, leurs ventres étaient gigantesques, comment tenaient-ils debout ?
Un jour elle n’y tint plus et deux secondes d’inattention de la part du garde de l’entrée lui permirent de se faufiler à l’extérieur. Ce jour, le lendemain, le sur-lendemain, et le jour d’après, et encore, et encore…
La fin de journée arrivait, elle était exténuée mais toutes les histoires que racontaient les Barakas étaient exceptionnelles. Cela valait bien la peine de courir toute la journée. Elle rêvassait, le nez en l’air.
- Et bien Mademoiselle, on joue les filles de l’air ?
Ses muscles se crispèrent et elle s’arrêta net. Sa tête rentra entre ses épaules et elle adressa à sa mère une expression désolée très peu convaincante.
- Tu pensais vraiment que je n’en saurais rien ? Lui demanda t-elle sur ce ton doucereux qui vous hérissait les poils de la nuque. Elle posa une main sur l’épaule de sa fille et la guida vers la maison.
- Non, je, enfin… Si, bien sûr que si Mère vous alliez le savoir ! Mais ces gens sont tous tellement merveilleux ! Vous leur avez parlé Mère ? Vous savez ce qu’il se passe au Nord ? Ou même sur l’autre continent ! Vous devriez écouter toutes ces histoires Mère !
Et le déluge de parole continua, interrompu, passionné, convaincant. Qu’aurait-elle pu y faire ? Sa fille portait au monde un intérêt et un amour si forts que l’enfermer ne servait à rien. Quelques réprimandes, beaucoup de conseils, des promesses et des menaces et la soirée se terminait.
Que n’avait-elle enfanté une dame plutôt qu’une baroudeuse.
Depuis peu elle aidait à l’hospice général, de nombreux réfugiés arrivait encore et encore des plaines du Nord. Elle s’occupait de ceux qui n’avaient que quelques bosses et contusions mais elle mettait une ardeur folle au travail. Elle pansait, désinfectait et prononçait même quelques petits sorts de guérison.
- Tu te débrouilles bien.
La voix était sortie de nulle part. Enfin. Plus précisément d’au-dessus de sa tête. Une voix chaude, profonde. Tellement prise dans sa tâche, elle en avait oublié de regarder qui elle soignait.
- Euh, je, je… Oui ! Enfin, non ! Euh, je… Merci…
Il avait le teint cuivré de ceux de sa race, des cornes sombres, des cicatrices très prononcées. Et quelques blessures sans gravité. Elle avait d’ailleurs terminé.
- Voilà j’ai fini !
- Tant mieux dit-il en se relevant d’un bond. Il ne devait avoir que quelques années de plus qu’elle. Peut-être 16 ans, peut-être 17. Elle le détailla alors qu’il ramassait ses affaires. Elle se demandait s’il venait du front. Où s’il était un voyageur prit dans la tempête de la guerre. Ou tout un tas d’autre chose.
- Je m’appelle Syran, et toi ?
Elle mit un instant avant de réaliser que c’était à elle qu’il s’adressait.
- Euh oui, pardon ! Enfin non, je m’appelle pas oui ! Je m’appelle Célestiane !
Visiblement amusé il lui caressa rapidement la tête avant de s’en aller. Elle se sentait étrangement… étrange. Bien, légère, fébrile. Une sensation divine.
« Enfance, seul âge de la vie où le bonheur puisse être un état »
Paule Saint-Onge
La plume glissait lentement et nerveusement sur le papier blanc, elle y déversait méthodiquement l’encre noire qu’elle contenait, traçait en arabesques des courbes et des traits. L’esprit bien éloigné des paroles de sa mère, ses yeux se mirent à apprécier le jeu de la plume sous ses doigts. Tant tôt trait arrondi et appuyé, tantôt cercle léger. Sa main s’était mise à dessiner, son esprit s’était mis à virevolter bien loin, bien loin, des histoires de Thaerahm et Quorin, de Gahrene et de cette -vraiment trop vieille- guerre civile.
- Célestiane !
Du haut de ses huit ans elle ne fit même pas semblant d’avoir écouté un traître mot. Inutile, les remontrances auraient été pire encore. Elle posa la plume, joignit ses mains sur ses cuisses et courba l’échine, les yeux baissés.
- Pardon mère.
La grande elfe qui lui faisait face, livre en main, soupira longuement. Avec deux doigts, elle se pinça l’arrête du nez, agacement réel mais quelque peu forcé. La petite fille le savait bien et un léger sourire étira ses lèvres.
- Inutile de me faire cette tête là Célestiane ! La réprimanda t-elle en agitant un index accusateur. L’Histoire est importante, tu devrais te concentrer plutôt que te mettre à dessiner je ne sais quoi.
Ce faisant elle attrapa la feuille où s’affichait le délit de sa plus grande fille. Une mine résignée s’afficha alors sur le visage parfaitement lisse de sa mère. Et oui. Encore un cheval.
- Il faut que tu arrêtes de regarder toutes ces images dans les livres. D’ailleurs je devrais dire à qui tu sais – elle envoya un regard appuyé sur l’enfant- de ne plus t’en apporter. Tout ça te déconcentres et te remplis la tête de bêtises.
- Mais ce ne sont pas des bêtises Mère ! S’insurgea t-elle. Ils sont magnifiques je trouve, oh j’aimerais tant en monter un !
La mère soupira alors de nouveau, écoutant sa fille se mettre à lui répéter encore son couplet sur l’extérieur, les autres peuples, les animaux… Que n’avait-elle déjà entendu ça des dizaines de fois. Elle avait rêvé d’une fille à son image -douce, noble et polie- et elle se retrouvait avec une aventurière en herbe. Et elle continuait à parler, à parler. Heureusement ses deux petites sœurs ne semblaient pas prendre le même chemin. Un soulagement pour la mère qui referma son livre et passa une main légère dans les longs cheveux blancs de sa fille.
- Aller cesse de me parler de ça, je crois que ton frère a une surprise pour toi dehors.
La promesse d’un cadeau fit taire l’enfant d’un seul coup. Elle demanda confirmation et sans attendre la réponse partit en trombe en direction des jardins extérieurs.
- Célestiane attends ! Cria sa mère, mais en vain. Tes chaussures… geignit-elle.
Encore des collants à jeter en perspective.