« Rien ne s’est fait de grand qui ne soit une espérance exagérée. »
Jules Verne.
Encoche. Bande. Vise. Relâche. Encoche. Bande. Vise. Relâche. Encoche. Bande. Vise. Relâche. Encoche. Bande. Vise. Relâche. Encoche. Bande. Vise. Relâche… Elle en avait mal aux bras et les doigts ensanglantés. Mais rien n’y faisait, elle ne pouvait pas s’arrêter. Il fallait qu’elle arrive à toucher le centre ! Il le fallait !
Elle grogna de mécontentement quand son voisin atteignit sa cible de paille en plein cœur, lui passa au travers et se planta dans un arbre.
-Tu vois, c’est pas si compliqué ? Dit-il à son attention, obséquieusement complaisant.
-Ta gueule, chasseur de seconde zone répliqua Lumen en décochant une nouvelle flèche… Qui se ficha à 2 cercles du centre.
Quoi qu’elle fasse, peu importe le temps qu’elle y passait, peu importe la douleur qui traversait son corps à force de s’entraîner, elle n’arrivait pas à atteindre le centre. Et pourtant c’était pas faute d’y passer plusieurs heures par jour depuis près de trois ans. Elle avait rejoint les sentinelles de Basfelt après le départ du prêtre, et depuis elle mettait tout son cœur à l’ouvrage, s’astreignant chaque jour qu’Aion faisait à toucher cette foutue cible, à essayer vaille que vaille de transpercer la tâche rouge qui en occupait le milieu. Mais ça n’était encore pas aujourd’hui qu’elle y arriverait.
Une bouffée de colère la submergea et elle envoya valser tout son attirail : flèches, carquois et arc. Elle déversa toute sa colère sur le chasseur, l’envoyant au diable ou à n’importe quel Seigneur Dragon.
-Dis donc il t’a rien fait ce pauvre garçon ! Fusa alors une voix connue. Elle darda un regard de braise sur son père, le trouva tellement ridicule avec ses sacs d’avoine, ses pots de miel et tout le reste qu’elle s’en prit à lui, lui explosant au visage tout ce qu’elle pensait -ou non- de lui, de ses manies, de son métier, de sa personne. Il fallait qu’il arrête de la couver, de la surveiller, d’essayer d’en faire une dame ou elle ne savait trop quoi de bienséant et d’aimable. Il fallait qu’il arrête !
-Je n’essaie pas de…
-Bien sûr que si ! Tu ne fais que ça ! Tu crois quoi ? Que tu vas remplacer la traîtresse ? Parce que c’est ce qu’elle est tu sais ! Arrête de croire qu’elle va revenir ! Le visage de son père devint blanc avant de s’empourprer de colère mais il n’eut pas le loisir de dire un seul mot, Lumen continua à déverser toute sa rage.
-Tu sais comment on m’appelle ? Hein ? Tu le sais ? La Fille de Léphar ! Voilà comment on affuble ta fille maintenant, je préférais encore la trique !
Quoiqu’aujourd’hui elle n’en avait plus grand chose, d’une trique. Toujours aussi grande, mais délicieusement formée, elle qui avait tant espéré qu’on l’admire, qu’on la trouve belle… Elle en avait parfois assez qu’on la reluque sous tous les angles. D’un geste rageur elle ramassa une flèche et son arc. Encocha, banda, visa et relâcha. En plein dans le centre.
-Une flèche pour celle qui est partie. Elle ramassa une autre flèche et recommença. Le centre, de nouveau.
-Une pour chaque balaur, chaque engeance qui foule nos terres et nous oblige à nous terrer.
Lumen continua ainsi, flèche après flèche, à cribler sa cible. Elle était maintenant seule depuis longtemps, il faisait nuit. Elle encocha alors l’unique et dernière flèche en bon état qui était encore à ses pieds et pris le temps de viser correctement. Son buste se raidit, ses bras se tendirent et elle ne quitta pas la cible des yeux… Sans savoir vraiment pourquoi elle mit plus de temps à relâcher celle-ci mais quand elle le fit une chose étrange se passa : dans le sillon de la flèche se dessina une traînée luminescente. Lumen se rapprocha de la cible et constata qu’un léger halo entourait sa dernière flèche, mais le temps de cligner des yeux la lumière avait disparue. Elle fut surprise, regarda ses mains puis son arc… Non… Ca venait bien d’elle.
Elle prit une nouvelle contenance, toute fière et suffisante :
-Une pour Léphar. Sa première manipulation d’éther. Sans ni le savoir ni le vouloir. Il était temps de partir.