Archive pour avril 2010

Un caillou. Deux cailloux Trois cailloux. Un scarabée. Une araignée. Quelques brins d’herbe. Un… truc gluant. La fillette s’extasia, ses yeux brillaient. Un vrai trésor !
Bien cachée dans les hautes herbes elle passait en revue tout ce qu’elle avait pu trouver dans l’après-midi. Elle avait des griffures partout, sa robe était couverte de terre et arborait de nombreux trous et déchirures. Mais elle, évidemment, elle n’en avait rien à faire.

Elle secoua doucement la tête en assemblant quelques morceaux de bois. Quelque chose lui disait vaguement qu’elle ne devrait pas être là. Les adultes étaient étranges en ce moment. Sa maman criait sans arrêt, son papa lui avait interdit de sortir et même les cochons étaient parqués dans leurs enclos. Interdiction de les promener.

Tout ça n’était décidément pas drôle. Se balader dans les bois, trouver des trésors, ça l’était déjà beaucoup plus.

Au loin elle entendit un bruit qui se fit de plus en plus pressant et qui la fit se relever brusquement. Elle l’avait déjà entendu, en ce moment ça n’arrêtait pas. C’était la sirène de son village. Ses parents lui avaient dit de toujours rentrer à la maison quand elle l’entendait.
Des mèches folles retombaient devant ses yeux. Elle fit quelques pas et revint vers sa cachette. Puis elle fit mine de repartir avant de revenir, encore. Elle ne savait pas bien quoi faire. Elle voulait jouer. Mais elle devait aussi rentrer. Elle donna un coup sec dans un caillou au sol et parti en courant vers Comté du Lac. Tant pis elle reviendrait demain.

D’un pas agile elle évitait tous les obstacles et allait sortir du bois quand quelque chose apparut devant elle. Ou quelqu’un se demanda t-elle. Elle s’arrêta doucement. « Ça » essayait de se cacher derrière de gros rochers. Alors elle s’approcha, confiante, qui lui aurait fait du mal de toutes façons ?
La créature se tourna alors vivement vers elle et le spectacle qui s’offrit à la fillette la fit se figer. Des yeux blancs, immenses, elle n’avait jamais vu ça. Et puis des cornes, mais elles ressemblaient pas à celles des vaches. C’était une queue derrière ? Elle la détailla de longues secondes avant qu’un détail ne la ramène à la réalité. Elle tendit alors un doigt conquérant vers l’être.

- T’as une araignée dans les ch’veux !

L’autre cligna simplement des yeux. La bouche entrouverte. Elle la trouvait amusante. Mais l’araignée était toujours là. Alors ni une ni deux elle s’élança vers elle et lui sauta dessus. Ensemble elles tombèrent à la renverse – ce qui la fit beaucoup rire – et elle attrapa l’insecte entre ses doigts avant de l’écraser dans sa main sans plus de cérémonie dans un « spouitch » dégoulinant et craquant.
Fière d’elle elle montra son trophée à la créature, sur qui elle était toujours affalée. Puis un mouvement la fit vaciller et tomber par terre. L’autre s’était relevée. Elle la regardait. Enfin elle croyait, ses yeux étaient vraiment bizarres. Puis elle la vit doucement sourire avant de se retourner et de disparaître, proprement et simplement.

La fillette se releva en vitesse, les yeux ébahis et la bouche grande ouverte. Où était-elle ? Elle pris ses jambes à con cou et fila à toute vitesse vers le village. Elle devait raconter ça à Millie !

Avachie sur un gros rocher, les jambes écartées, le souffle court et un ventre qu’elle qualifiait « d’ahurissant » l’humaine tentait vainement de se souvenir de la dernière fois où elle avait pu courir ou même marcher autrement que comme un canard boiteux.

Elle lâcha un soupir digne d’un boeuf. Trop loin. Elle n’arrivait pas à s’en souvenir. Cette situation la pesait de manière colossale. Comment elle était tombée enceinte déjà ? Ah oui. Max.

Un craquement lui parvient de derrière et elle tourna vivement la tête. En temps normal tout son corps aurait suivi mais là… C’était comme essayer de remettre à la mer une baleine échouée. Impossible. Ou alors avec des engins de siège, de traction. Des catapultes ! Oui c’était ça qu’il lui fallait, une catapulte.

- Alors ? On rêvasse ?
- La ferme ou je te mords Max.
- Ça changerait pas beaucoup de d’habitude !

La rouquine montra les dents à l’homme qui venait d’arriver. Elle n’aurait aucun scrupule à lui arracher un bout de chair s’il fallait ! Le dénommé Max haussa alors les épaules et s’assit à côté d’elle.

- C’est bientôt fini, tu pourras bientôt « respirer » comme tu dis
- Et ben vivement ! Oh et puis aide moi à me relever, j’ai trop chaud ici en plein cagnard.

On était en plein été. La chaleur s’était abattue sur les Carmines, s’était pesant, suffoquant. Pas un brin d’air pour les rafraîchir un peu et avec tous ces murlocs le lac était trop dangereux. C’était bien sa veine ça. En temps normal elle en aurait fait des brochettes de ces têtards.

Appuyée contre Max, Dedjinn avançait doucement, avec difficulté. De la poussière se soulevait à chacun de leurs pas et elle entendait d’ici sa mère hurler qu’elle allait encore devoir passer le balais derrière eux. Quelle plaie… Pourquoi elle était revenue déjà ? Ça faisait déjà trois ans qu’elle avait quitté Elwynn, demander son affectation aux Carmines pour rassurer sa mère faisait partie des pires erreurs de sa vie. Probablement que de « batifoler » avec Max aussi se dit-elle en se rappelant qu’elle n’arrivait même plus à voir ses pieds quand elle marchait.

Elle laissa échapper presque un cri de soulagement quand elle pu enfin s’asseoir sur une chaise à l’intérieur. Ici il faisait un peu plus frais. D’un coin de l’oeil elle remarqua que Max s’affairait.

- Tu fais quoi là ?
- Je te prépare un truc frais à boire répondit-il tout en pressant plusieurs citrons dans une carafe d’eau.

Elle s’affaissa un peu plus sur sa chaise et posa ses mains sur la baudruche qui lui servait maintenant de ventre. Elle allait faire quoi d’un enfant ? Sa place c’était sur le champ de bataille pas à la maison en mère de famille. Ses doigts se mirent doucement à caresser son ventre par dessus sa robe. Elle verrait bien une fois qu’elle aurait accouché. Une grimace déforma son visage, plus elle y pensait plus l’idée d’un enfant à elle, le sien, s’imposait à son esprit. Un bout d’elle-même. Tout petit bout d’elle-même… Elle secoua vivement la tête. Non. Elle y penserait plus tard.

Un verre parsemé de goutte d’eau apparu dans son champ de vision et elle s’en saisit avant de le vider d’une traite et de le tendre à Max.

- Encore.

De l’eau, du sucre, des citrons, le tout refroidit par du givre. Y avait pas franchement mieux en ce moment.

Elle essaya de se caler un peu mieux. Son dos lui faisait mal, ses seins lui faisaient mal, ses pieds aussi, ses doigts étaient boudinés, elle transpirait de partout.

- MAIS SORS DONC DE LA ! Cria t-elle, furieuse, en regardant son ventre.

Comme une réponse à son irrépressible envie d’en finir avec ce calvaire une vague de douleur la traversa et elle se mit proprement à hurler. Contraction. Entre deux spasmes elle réalisa que quelque chose coulait entre ses jambes.

Elle guettait les rondes des gardes depuis quelques jours, cherchant en vain comment passer sans être vue. Tapie dans les hautes herbes des plaines de Nagrand elle passait inaperçue, mais pour combien de temps ? Ils allaient bien finir par remarquer que les talbuks ne s’aventuraient pas là où elle était cachée.

Elle soupira et s’adossa contre le rocher le plus proche, ne sachant pas vraiment comment procéder. Elle était partie depuis des années, n’avait revu aucun d’entre eux depuis l’accident. Elle fronça les sourcils et grimaça, comment allait-il réagir lui ? Allait-il la provoquer comme d’habitude ? Ou bien l’ignorerait-il ? Ce serait logique, elle avait abandonné tout le monde, même si pour elle ce n’était pas si évident.

Elle planta ses ongles dans la terre encore molle des dernières averses et ramassa une poignée de terre avant de la lancer devant elle. Elle se releva, essuya sa main sur son pantalon de cuir usé et, le regard décidé mais pas franchement rassuré, elle s’avança vers le pont principal de Telaar.

Une patrouille l’arrêta. Elle reconnue la plupart d’entre eux et resta muette, les toisant les uns après les autres .
L’un d’eux s’avança et pris la parole.

- On t’as cherché partout. On avait besoin de toi ici, t’étais où ?
- Nulle part et partout…

Le draeneï grommela quelques mots et lui fit signe de la suivre.

Je t’emmène voir Mahuno

Elle grimaça de nouveau en entendant ce prénom mais obéit au garde. Meraak, il n’avait pas vraiment changé.
Il la conduisit vers un des bâtiments principaux de la ville de fortune. Elle avait été construite à la va-vite après l’accident. Elle se doutait qu’à ce moment le strict minimum suffisait amplement, le temps n’était pas au luxe des demeures.

Ils marchèrent quelques minutes sans échanger un seul mot, Meraak devant et les autres gardes derrière elle. Elle renifla.

- Je suis une prisonnière ou quoi ? Vous avez peur que je reparte ?
- Ne sois pas méprisante, tout autant que les autres tu aurais dû nous aider à construire, à soigner… Tu as préféré partir, tu n’as pensé qu’à toi.

Un bâtiment immense s’imposa devant eux, la cime en forme de cône semblait vouloir monter jusqu’au ciel et des cristaux dépassaient des murs, semblant maintenir la construction.
Meraak s’adressa à une draeneï entrain de ranger des livres et des parchemins à côté de l’entrée.

- Mahuno est là ? Je dois le voir, maintenant.

Elle acquiesça, lança un regard rapide à Amaraude, et monta les escaliers rapidement avant d’en redescendre quelques secondes plus tard, suivie d’un draeneï en parure mauve, finement brodée et rehaussée de fils bleus étincelants.

- Qui avons nous là… Revenue d’entre les morts Amaraude ? J’avais noté ton nom dans la liste des morts.
- Et bien tu peux me rayer de ta liste, je me porte bien dit-elle d’une voix sèche en fixant sévèrement le nouveau venu.
- Après tout ce temps, je pensais que tu te serai montrée moins agressive.
Tu penses mal.

Le draeneï soupira et fit signe aux gardes de s’éloigner, « je m’en occupe » dit-il. Il la prit par le bras et la força à le suivre, il la mena dans une pièce à l’étage et referma la porte derrière eux. Puis il s’approcha vivement d’elle et la poussa.

- Non mais t’étais où ?
- De quoi je me mêle, magicien de seconde zone ! Répondit-elle avec hargne en le poussant à son tour.
- T’imagines ce que j’ai pensé ? T’imagines hein ?! Je t’ai crû morte, les premières semaines j’ai cherché ton cadavre partout ! PARTOUT tu entends ?!

Mahuno faisait les cents pas dans la petite pièce, agitait violemment les bras et dardait des regards furieux sur Amaraude.

- Ne me regarde pas comme ça, je devais partir, tu le sais parfaitement… J’aurai fait quoi ici ? Pendant que tu mettais toute tes troupes en place moi j’ai étudié, découvert, exploré ! Qui l’aurait fait hein ? Toutes ces loques que tu traînes ici ? Ils sont tous morts de peur à l’idée de sortir de ce trou je suis sûre !
- Ne parle pas comme ça la menaça t-il.
- J’ai raison lui répondit-elle en se campant fièrement devant lui.

Il grimaça quelques secondes en la fixant avant de soupirer profondément et de détourner la tête. Mais bon sang… Bien sûr qu’ils avaient peur… Anéantis, traqués pendant des milliers d’années, ils avaient tous du mal à se faire à cette sérénité, ce calme autour d’eux, sans légion, sans démons.

- Ça fait quand même presque quatre ans, tu as fait quoi tout ce temps ?
- Je te l’ai dit, j’ai exploré, je me suis débrouillée.

Mahuno regarda le sol quelques secondes avant de lever les yeux au ciel et d’aller s’asseoir sur le rebord de la seule table de la pièce.
Il planta son regard dans celui d’Amaraude et se mit à la détailler.

- Tu n’as pas dû manger à ta faim…
- Je suis vivante c’est ce qui compte, qu’est-ce que tu comptes faire de moi, c’est toi qui dirige ici non ?
- Si on veut, Velen et l’Aldor sont dans une cité appelée Shattrah. Quelques uns d’entre nous se sont disséminés ici et plus loin dans les marécages.
- J’ai vu cette cité, jolie forteresse… Pas tout à fait terminée ceci dit.
- Ici c’est moi qui m’occupe de tout mais je suis sous la tutelle de l’Aldor.

Il se releva et s’approcha de la draeneï, la fixant toujours. Mise mal à l’aise par ce regard insistant elle commença à gigoter, regardant partout autour d’elle.

- Tu vas faire quelque chose pour moi
- Quoi ?
- On a des gardes ici mais pas d’unité de reconnaissance, je te confie les hommes que j’ai à disposition tu t’occupes de me rapporter ce qu’il se passe aux alentours.
- Je ne te dois pas obéissance.
- Tu me dois des excuses.

Elle fronça les sourcils et s’approcha de la porte.

- Je peux faire ce que je veux ?
- Oui.

Elle sortit de la pièce et referma la porte. Il la regarda partir sans bouger.

Amaraude n’était pas une enfant compliquée. Solitaire, débrouillarde oui mais pas compliquée.
La nourrir n’était pas une corvée, l’habiller non plus, la faire dormir non plus… Non tout ça n’était pas un problème pour les madones qui s’occupaient d’elle. Parmi tous les autres orphelins elle semblait bien sage.
Le seul soucis avec Amaraude c’était sa manie à disparaître. Comment diable arrivait-elle à se volatiliser dans l’espace clos de l’Oshu Gun ? Le vaisseau était certes immense mais des gardes circulaient partout, seulement quoi qu’elles fassent et où qu’elles cherchent les madones n’arrivaient jamais à lui mettre la main dessus.
Les centaines d’années qui ont vu s’écouler la petite enfance d’Amaraude n’ont pas réussi à répondre à ces questions. Et les Madones ont finalement arrêté de partir à sa recherche, sachant bien qu’elle reviendrait quand elle aurait faim.

Si vous lui demandez combien de temps elle a passé à bord de l’Oshu Gun, elle se contentera de vous sourire, ou bien vous répondra juste « beaucoup de temps ». A vrai dire elle n’est même pas sûre elle-même du nombre exact d’années passées à errer dans ce gigantesque cocon de métal et de lumière.

Comme beaucoup des siens elle n’a pas connu Argus, ses parents, eux, y vivaient. D’après ce qu’elle sait ils étudiaient les magies. Son père a disparut pendant l’invasion d’Argus et sa mère est morte en couche. Il a fallut lui ouvrir le ventre pour qu’on puisse la sortir lui a-t-on dit. Mais ça Amaraude s’en fichait royalement, les madones s’occupaient un peu d’elle et c’est tout ce qui lui fallait.

Les quelques milliers d’années qui ont suivies l’ont vu grandir, s’affirmer, se révolter, comme tous ceux de son âge nés dans les mêmes conditions, élevés en groupe comme des portées de chiots délaissés qu’on nourrissait à grand renfort de denrées sèches. Somme toute le quotidien d’une vie en vase clos.

Dans ses souvenirs elle a visité plusieurs mondes. Elle a vu des ciels rouges, violets, gris, le plus souvent orageux et parsemés d’éclairs violents et de pluies acides. Dans ses souvenirs elle n’est jamais restée.

Jusqu’à ce jour.
Jusqu’à ce qu’après plusieurs milliers d’années à arpenter toujours le même sol, à regarder toujours les mêmes lumières, à se voir grandir au milieu des mêmes personnes, l’Oshu Gun ne vienne s’écraser sur un nouveau monde.

L’accident a été violent, terrifiant et meurtrier. Mais quand elle s’est hissée de sous les décombres, quand, les yeux éblouis, elle s’est dirigée vers une toute nouvelle lumière jamais vue auparavant, elle n’y a plus songé.

Elle était dehors.

Elle se souvient encore aujourd’hui de la violence avec laquelle ses sens ont été assaillis tous en même temps. Mais le plus vif a été l’odeur. Elle s’en souvient c’était l’été, l’herbe avait brunit au soleil, laissant s’échapper des effluves particulières qui lui montèrent rapidement à la tête. Ça sentait chaud, bon et rassurant.

Elle a d’abord fait un pas, puis deux, avançant les yeux grand ouvert comme pour voir le plus de choses possible, et sans se retourner, sans écouter les gémissements et les cris des autres draeneïs derrière, elle s’en est allée découvrir ce nouveau monde qui s’offrait à elle… Et elle hurla de surprise la première fois qu’elle vit un sabot-fourchu.