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Cinq petits jours s’étaient écoulés depuis leur retour. Si petits et pourtant si fastidieux, si pesants. Il lui semblait que les heures s’égrainaient avec la lourdeur d’un chariot empli de plomb. Elle n’avait toujours pas rouvert la bouche, pas un seul mot l’avait franchi la barrière de ses lèvres.

Qui l’aurait écoutée de toutes façons ? Son père se complaisait de chagrin dans le récit nuageux de sa mère. Les domestiques osaient à peine la regarder, si profondément touchés qu’ils pussent paraître. Et sa sœur… Tendre et chérie petite sœur… Son regard n’était plus que flammes et rancœur. Elle avait du mal à s’y faire, elles qui s’étaient tant aimées. Mais non. L’ancienne vérité devait devenir un mensonge. Il ne fallait pas qu’elle y pense. Tout ceci n’était plus. Tout ceci n’avait jamais été.

Malgré tout… Sans pour autant comprendre, elle pensait enfin toucher du doigt les sentiments de sa jumelle. Tant de haine…

Ses pieds dansaient dans le vide au rythme de la balancelle. Le corps avachi entre les coussins rendus humides par la rosée du matin. A la voir comme ça, inerte et le regard perdu sur l’horizon dessiné par les haies, on aurait pu croire que le couinement du bois la berçait. Mais il n’en était rien. Ce bruit répétitif et agaçant elle ne l’entendait même plus, toute plongée qu’elle était dans ses souvenirs. De loin elle ressemblait à une poupée grandeur nature, figée, marmoréenne.

Dans ses songes éveillés elle entendait de nouveau leurs rires à toutes trois lorsqu’elles courraient au milieu des blés fauchés, elles revenaient toujours avec des éraflures jusqu’aux genoux mais rien à faire. Le Lendemain elles recommençaient. Elle sentait les odeurs presque charnelles de la terre, puis la suavité des peaux enfantines lorsqu’elles se vautraient ensembles dans les monticules de feuilles.

Que de souvenirs. Qu’il fallait enterrer.

Une légère brise emmêla ses cheveux roux et balaya quelques mèches en travers de son visage. Elle n’esquissa pas le moindre mouvement. Un craquement se fit entendre au derrière d’elle. Pas un de ses muscles ne tressaillit. Elle savait bien que ce moment devait arriver. Il avait même trop tardé. La sentence n’en serait que plus douloureuse.

Du haut de ses quatorze années la cadette était tout aussi fine et ténue que ses sœurs à son âge. Mais il exultait d’elle une violence sans pareille que même elle, aujourd’hui engourdie mais auparavant si sauvage, ne pensait égaler. Bien que tout ceci n’ait été qu’un nouveau mensonge. Mais il lui fallait bien entrer dans la peau du personnage.

Son pas était léger, la pelouse molle et humide engloutissait le bruit de ses souliers vernis. Sans un mot, dans le plus félin des silences, la plus jeune vint s’installer à côté de sa, désormais, seule grande sœur. Elle ne la regarda ni ne fit attention à elle. D’une impulsion légère elle activa le mouvement de la balancelle. Malgré tout son corps restait tendu, elle était assise au bord des coussins, prêtre à partir en courant.

Un frémissement léger des narines lui apporta la senteur sucrée de sa cadette, effluves de bonbons rouges. Elle voulu sourire, elle avait toujours aimé ce parfum d’enfant, mais quelque chose l’en empêcha. Une pression sur sa gorge et une ombre devant elle. Des yeux si bleus, si clairs. Des mains si fines, si tendres. Son corps se réveilla subitement et elle se débattit.

Ses yeux se révulsèrent et son bras se ranima brusquement. Un claquement bref et elles furent toutes deux au sol. Son souffle était rauque, chaque respiration la brûlait. Sa tête fut violemment tirée en arrière, quelques uns de ses longs cheveux durent rester entre les doigts de la plus jeune. Elle ouvrit la bouche pour crier mais rien ne sortit. Projetée à terre, sur le dos, une masse furieuse s’abattit sur elle et une pluie de coups termina de l’abrutir.

La dernière pensée cohérente qui l’effleura fut qu’elle ne voulait pas mourir là. Partout sauf ici.

Ce fut une main chaude sur son front glacé qui la tira de son sommeil quasi comateux. Aussitôt elle ressenti la froidure de la terre sous elle, la morsure du vent qui accentuait encore son impression d’être une sculpture de glace. Ses paupières tressautèrent à plusieurs reprises et elle coassa plus qu’elle n’articula le prénom de son père. Son visage inquiet était pour l’heure son seul horizon et elle senti son cœur se presser et sa gorge se tordre en pensant à ce que toutes les femmes qui disaient l’aimer lui faisaient subir en ce moment même.

Elle éclata en sanglot. La chaleur de ses larmes réveilla son visage et malgré toutes les pointes de douleurs qui avivèrent son corps elle se pendit à son cou alors qu’il la relevait.

Le reste alla très vite. Confrontation il y eut. Mais la mère défendit la cadette. Il n’y eut rien à ajouter à cela. Elle était devenue la paria. Celle qui était de trop. Celle dont l’ombre ne pourrait jamais cacher le manque qui désormais se ferait ressentir.

La soirée fut longue, la nuit fut blanche, l’aube fut inespérée.

Au petit matin elle n’était plus là.

« … elles s’imposent »

Le retour s’était passé dans un silence profond, religieux… Non, le mot n’était pas bon. A vrai dire cela n’avait même pas été un silence. Le chemin du retour, sans sa sœur, n’avait rien été d’autre qu’une oraison funèbre dont les notes étaient le claquement des sabots sur la terre, le craquement du bois des roues et la voix détestée de sa mère qui lui disait de ne rien dire. Jamais. De se taire. Pour toujours.

Elle n’avait même pas pensé à ouvrir la bouche, à expliquer ce qu’il s’était passé là-bas dans ce désert infecte, inconnu. Meurtrier. Sa mère lui intimait le secret et elle le respecterait. Non pas parce qu’elle avait peur mais parce qu’une erreur avait été commise. Le choix n’avait pas été le bon. Ils s’étaient trompés. Désormais sa vie ne dépendait plus que de son silence.

Elle s’était mordu la lèvre jusqu’au sang, à tel point qu’elle avait senti ce liquide ruisseler sur son menton et perler dans son corsage. Elle ne l’avait pas fait par souffrance, ni même par rage. Juste par honte. Une honte odieuse, sournoise qui lui hurlait que c’était de sa faute, qu’elle devait y retourner, dire la vérité, rétablir le cycle des choses. Mais sa sœur était morte, et avec elle le secret.

Sa sœur, sa moitié, l’amour fondamental de sa vie. Son reflet sans miroir.

La voiture devait mettre quatre jours à parcourir la distance qui la séparait de leur chambre, leur lit, leurs jouets et leurs livres. Tout ce qui avait toujours fait qu’elles étaient deux et qui dès lors marquerait le fait qu’une avait disparu. Elles avaient deux semaines de retard et durant ces longues journées elle avait imaginé sans peine l’angoisse de son Père et la colère de sa jeune sœur. Et pendant tout ce temps elle n’avait pas réussi à savoir lequel des deux était le pire.

Non pas par empathie pour eux, mais parce que tout ceci n’était que mensonge et macabre mise en scène orchestrée par sa marâtre de mère. Tout du moins c’était ce que cette dernière croyait. Et c’était ça le pire.

Au soir du dernier jour de voyage elle avait guetté les premiers signes qui lui rappelaient sa contrée. Les premiers arbres, les premiers champs, les premières maisons et pour finir… Les derniers mètres. Tous les deux étaient là sur le pas de la porte, entourés de toute cette escorte de domestiques que sa mère abhorrait. Elle l’entendit se racler la gorge et se préparer, c’était son heure, le public n’attend jamais.

Sa mère s’était jetée dans les bras de son père, le pauvre homme avait dès lors affiché un regard désemparé. Il avait été noyé sous les larmes et les paroles confuses de sa femme. En quelques secondes à peine la fausse reine avait instillé dans le cœur du grand roi et de la petite princesse le doute ineffable du désastre. Et ils y avaient crû.

Silencieuse, effacée, imprégnée plus qu’elle ne le soupçonnait par la souffrance, elle finit par descendre elle aussi du fiacre. Un regard noyé de miséricorde lui parvint de son père, un autre empreint d’une rancœur si sourde qu’elle ne le reconnu pas de prime abord. Avant il ne lui était jamais adressé. Secrètement elle avait espéré que sa dernière sœur comprenne, que son esprit défasse la part de secret. Mais il n’en fut rien.

Puis elle fut soulagée. Le mensonge perdurerait.

Le trio en larmes finit par rentrer dans l’imposante demeure familiale. Le dernier morceau, l’âme lacérée, se laissa porter par les serviteurs, finalement incapable de mettre un pied devant l’autre. Ce n’était que maintenant, après deux semaines, que la réalité la frappa de plein fouet. Là, dans ce lieu où elles avaient toujours été ensembles, il ne restait plus qu’elle. Conseil de famille, récit entravé de sanglots factices et de larmes invoquées, prise de conscience.

La soirée fut longue, elle n’ouvrit pas la bouche une seule fois. Elle sentait le feu dans le regard de sa sœur lui lécher le visage, lui dévorer le cerveau et lui consumer les sens. Dans cette grande pièce elle étouffait. Dans cette maison immense elle suffoquait. Il lui fallait de l’air, de quoi respirer, il lui en avait toujours fallut. Mais aujourd’hui, aujourd’hui, sa bouffée d’oxygène au milieu de cette mare de mensonges n’était plus là.

Sa chaise avait basculé, son corps tout entier avec, elle n’avait pas sentit son crâne percuter le sol, elle n’avait pas sentit ses dents sectionner un bout de sa langue. Les convulsions furent longues, lui a-t-on rapporté. Pourtant elle se rappelle avec la plus grande clarté de cette pensée qui l’irradia, l’embrasa complètement jusqu’à consumer toute autre idée.

S’enfuir. S’enfuir d’ici. S’enfuir loin. Pour vivre. Pour garder le secret.

Si certaines de ses nuits étaient tourmentées, son sommeil assailli par les spectres de son histoire éclatée, d’autres étaient bien plus apaisantes malgré le peu d’heures consacrées au repos. Elle se souvient encore d’un de ces matins là, malgré son esprit encore embrumé elle avait ressenti très tôt les courbatures nouer son corps.

La douleur physique pour la béatitude de l’esprit.

Elle avait lentement bougé, s’éloignant de cette peau chaude, vivante et bien trop présente à son goût. Il n’y avait qu’une chose qu’elle déplorait à propos de ces ébats prolongés trop tard dans l’obscurité de la nuit… Il lui fallait toujours se réveiller aux côtés de quelqu’un. Un coup d’œil rapide lui avait alors appris que lui aussi était bien et bien réveillé, elle était à peu près certaine que c’était ses yeux, bien trop bleus, posés sur elle qui avaient fini par la sortir de ses songes. Combien de temps l’avait-il ainsi léchée du regard ? Dans sa mémoire ce détail avait ravivé sa rogne de la veille.

En quelques contorsions elle s’était assise sur le bord du lit et avait attendu un instant que sa tête cesse de tourner. Les longues flammes de ses cheveux s’étaient écoulées le long de son dos, caressant sa peau nacrée et elle avait pu sentir la pulpe de ses doigts venir danser dans le creux de ses reins. A cet instant précis elle s’était jurée de ne plus jamais venir le voir, maudissant le frisson qui était venu titiller jusqu’à ses orteils.

Malgré l’envie irrépressible qu’elle avait eu de sortir de cette chambre elle se souvient avoir pris tout se temps pour se rhabiller. Aujourd’hui elle se dit que c’était sans doute pour pouvoir lui dire au revoir.

Presque à l’embrasure de la porte il avait finalement ouvert la bouche, jusque là il s’était contenté de l’observer, détaillant chacune de ses courbes avant qu’elles ne disparaissent sous les étoffes. Doucement, de sa voix suave et réconfortante, il s’était enquit de son bien-être en soulignant que la veille il l’avait trouvé fébrile et courroucée, que ça n’était pas dans ses habitudes.

Il n’y avait eu alors qu’une voix pleine de flegme pour lui répondre, l’instant d’après le corps désiré avait disparu dans les escaliers.

« Etre dans mon lit ne fais pas de toi mon ami, Néryl, occupe toi de tes affaires. »

Quand elle y repense aujourd’hui elle ne peut s’empêcher de se dire qu’il ne s’agissait pas de son lit et, finalement, elle sourit.

« Les enfants sont sans passé et c’est tout le mystère de l’innocence magique de leur sourire. », Milan Kundera

De petits anges graciles, aériens et argentés venaient sans cesse leur effleurer le nez, provoquant chez les trois fillettes des gloussements frénétiques et des éternuements fulgurants. Chacune se levait comme un chaton se serait jeté sur une pelote et ensembles elles donnaient la chasse à ces charmes ondulants dans l’air encore chaud de la fin de l’été.

Une époque aimée, rêvée et révolue. Aujourd’hui elle ne peut s’empêcher de sourire innocemment quand elle repense à leurs jupons colorés voletant au milieu des champs, à ces courses effrénées pour échapper à l’heure faradique de la fermeture des portes, aux fleurs coupées qui finissaient invariablement dans des coupelles d’eau.

Il lui semble d’ailleurs encore percevoir les effluves de leur chambre, cette odeur sucrée et doucereuse qui lui donne toujours aujourd’hui l’envie de s’empiffrer de ces bonbons qu’elles chipaient dans les cuisines en douce.

Depuis lors, chaque soir, une fois ses paupières closes, ses pupilles voient défiler devant elles les images de ce passé englouti et déchu. La candeur de son enfance surgit comme le diable de sa boîte, avec toute la vivacité du souvenir enfoui mais jamais effacé. Sa peau se remémore la texture des fleurs, sa langue se souvient des goûters partagés, ses oreilles se rappellent combien il était bon et doux d’entendre le souffle de leurs voix.
Des bribes d’histoires se mêlent à ses folles espérances et ses nuits sont éternellement  clairsemées d’images, de sons et d’odeurs qu’elle aimerait tant retrouver. Ses mains se tendent dans ses sommeils mais ses ongles ne peuvent qu’effleurer le reflet vaporeux de celles qu’elle a perdu.

Chaque matin qu’elle vit depuis est identique au précédent. Les yeux encore humides de ce désespoir lancinant elle reprend pied dans la réalité, se lève et se rhabille, laissant là les pièces vides ou les lits occupés sans plus de regrets.

Des regrets elle n’en a plus que pour l’ancien temps, celui des rires et des cachettes au milieu des champs.

« L’amour comme un vertige, comme un sacrifice, et comme le dernier mot de tout », Alain-Fournier

Que de fadaises, que de mensonges, que de belles paroles ne lui avait-il soufflé à l’oreille ! Ce beau parleur ! Cet homme sans vergogne, sans limite, sans contrainte ! Ce scélérat au regard charbon, à la peau levantine et aux lèvres friandises. Même aujourd’hui son cœur semble encore lui chanter l’excellence en tous points qu’il représentait à ses yeux.

Mais elle sait, aujourd’hui elle a compris la leçon, retenu la moralité. Et sa rage est toujours intacte, seulement recouverte par le voile du flegme et de la douceur.

Elle se souvient encore du tourbillon dans lequel elle s’était plongée toute entière, elle se souvient de son Esprit accaparé par les mots qu’il lui susurrait, elle se rappelle de son Corps dompté par toutes ses caresses et par dessus tout elle n’oublie pas l’écho de sa Raison  grondant et hurlant contre cet abandon total et animal de tout son être.

Cette tumultueuse histoire n’avait finalement pas duré très longtemps. Bien vite la réalité des corps et les conséquences s’abattirent sur elle et son insouciance. Le temps qui suivit ne fut finalement que sa recherche de réconfort, son absolue demande d’aide… Son incapacité totale à s’occuper de quelqu’un d’autre que d’elle même.

Lui ne lui avait apporté aucune, il n’avait été d’aucun secours, cet homme ne fut qu’un leste accroché à ses hanches et en défaire le nœud fut terriblement douloureux. Mais là où elle avait vu son dernier espoir envolé elle avait finalement trouvé son ultime allier, celui qui allait lui dire ce qu’elle devait faire et qui allait taire ce qu’il savait.

En l’espace d’une simple heure nocturne elle s’était envolée, engloutie par l’obscurité des ruelles.  Puis le temps avait lentement fait son œuvre, son cœur s’était trouvé nouvellement occupé par une petite présence grandissante et souveraine. Fragment par fragment, la colère fit place à la douceur et ces quelques années loin du monde firent d’elle la femme qu’elle était autrefois.

Malgré tout son âme gardait toujours, gravée telle une cicatrice, l’infamie de cet homme profiteur et déloyal.

« L’avenir d’un enfant est l’œuvre de sa mère », Napoléon Bonaparte

Dans ses souvenirs la matinée avait été particulièrement froide. Fugace impression, vestige d’une journée qu’elle voudrait depuis lors arracher de sa mémoire. C’était la fin de l’année, presque quatre années jour pour jour depuis la naissance de sa petite fée.

Réveiller la petite avait été pénible, sa mémoire est encore très nette, la petite fille avait refusé de se lever, sentant probablement la nervosité de sa mère, son désarroi palpable qui devait suinter par tous les pores de sa peau blafarde.

Un long bain toutes les deux, des jeux de bulles et de bateaux en bois que l’on noyait dans les vagues de savon, de longs cheveux flamboyants qu’il avait fallut peigner avec toute la délicatesse du monde pour ne pas la faire gémir de douleur sous les assauts du peigne. Un petit déjeuner de reines, elles deux qui n’en possédaient même pas l’ombre. Une longue histoire au coin des dernières braises crépitantes, comme pour compenser celle du soir qui n’aurait pas lieu. Qui n’aurait plus lieu.

Ses doigts parcoururent longuement la peau douce et frêle des bras de l’enfant, la cajolant tendrement, soufflant à ses oreilles la dernière berceuse qu’elle pourrait lui chanter avant… Sa tête s’était soudainement agitée, essayant de rejeter l’idée de la revoir bientôt, souvent, demain.

Ses yeux se rappellent encore de l’éclat hivernal du soleil au travers des vitres de leur maison. Cette petite, toute petite mais tellement douillette demeure. Leur refuge loin des familles, des lois et des règles. Ses paupières s’étaient crispées rapidement, offrant une protection sommaire face à la clarté de la lumière. Un jour froid mais tellement beau. Un jour de neige, de paix et de calme.

Elle se souvient de la rapidité avec laquelle les heures s’étaient écoulée, dans sa mémoire le bruit d’un poing contre la porte lui revient encore comme la pire agression qu’elle ait pu subir dans toute sa vie, comme le son le plus terrifiant qui lui ait été donné d’entendre. Elle avait déposé sa fille au sol, s’était levée dans un bruissement de tissu vaporeux et avait ouvert le seuil.

Il lui semble que la suite s’est déroulée dans un rêve terriblement tiède et tranquille. Aujourd’hui quand elle se remémore cette journée elle espère que c’est bien ainsi que ça s’est passé.

Sans bruit. Sans heurt. Sans larme.

Que jamais sa petite poupée fragile n’ait à souffrir de cette journée. Que son souvenir soit pour elle celui d’une douce chanson et de la chaleur réconfortante d’un foyer.
Et chaque jour depuis elle espère avoir pris la bonne décision. Qu’ainsi sa fille puisse se voir dotée de l’avenir le plus resplendissant qui lui ait été donné de lui offrir.

Et elle pense en avoir payé le prix le plus fort qu’il puisse exister.

Devoir l’abandonner.