« L’avenir d’un enfant est l’œuvre de sa mère », Napoléon Bonaparte
Dans ses souvenirs la matinée avait été particulièrement froide. Fugace impression, vestige d’une journée qu’elle voudrait depuis lors arracher de sa mémoire. C’était la fin de l’année, presque quatre années jour pour jour depuis la naissance de sa petite fée.
Réveiller la petite avait été pénible, sa mémoire est encore très nette, la petite fille avait refusé de se lever, sentant probablement la nervosité de sa mère, son désarroi palpable qui devait suinter par tous les pores de sa peau blafarde.
Un long bain toutes les deux, des jeux de bulles et de bateaux en bois que l’on noyait dans les vagues de savon, de longs cheveux flamboyants qu’il avait fallut peigner avec toute la délicatesse du monde pour ne pas la faire gémir de douleur sous les assauts du peigne. Un petit déjeuner de reines, elles deux qui n’en possédaient même pas l’ombre. Une longue histoire au coin des dernières braises crépitantes, comme pour compenser celle du soir qui n’aurait pas lieu. Qui n’aurait plus lieu.
Ses doigts parcoururent longuement la peau douce et frêle des bras de l’enfant, la cajolant tendrement, soufflant à ses oreilles la dernière berceuse qu’elle pourrait lui chanter avant… Sa tête s’était soudainement agitée, essayant de rejeter l’idée de la revoir bientôt, souvent, demain.
Ses yeux se rappellent encore de l’éclat hivernal du soleil au travers des vitres de leur maison. Cette petite, toute petite mais tellement douillette demeure. Leur refuge loin des familles, des lois et des règles. Ses paupières s’étaient crispées rapidement, offrant une protection sommaire face à la clarté de la lumière. Un jour froid mais tellement beau. Un jour de neige, de paix et de calme.
Elle se souvient de la rapidité avec laquelle les heures s’étaient écoulée, dans sa mémoire le bruit d’un poing contre la porte lui revient encore comme la pire agression qu’elle ait pu subir dans toute sa vie, comme le son le plus terrifiant qui lui ait été donné d’entendre. Elle avait déposé sa fille au sol, s’était levée dans un bruissement de tissu vaporeux et avait ouvert le seuil.
Il lui semble que la suite s’est déroulée dans un rêve terriblement tiède et tranquille. Aujourd’hui quand elle se remémore cette journée elle espère que c’est bien ainsi que ça s’est passé.
Sans bruit. Sans heurt. Sans larme.
Que jamais sa petite poupée fragile n’ait à souffrir de cette journée. Que son souvenir soit pour elle celui d’une douce chanson et de la chaleur réconfortante d’un foyer.
Et chaque jour depuis elle espère avoir pris la bonne décision. Qu’ainsi sa fille puisse se voir dotée de l’avenir le plus resplendissant qui lui ait été donné de lui offrir.
Et elle pense en avoir payé le prix le plus fort qu’il puisse exister.
Devoir l’abandonner.