« Enfance, seul âge de la vie où le bonheur puisse être un état »
Paule Saint-Onge
La plume glissait lentement et nerveusement sur le papier blanc, elle y déversait méthodiquement l’encre noire qu’elle contenait, traçait en arabesques des courbes et des traits. L’esprit bien éloigné des paroles de sa mère, ses yeux se mirent à apprécier le jeu de la plume sous ses doigts. Tant tôt trait arrondi et appuyé, tantôt cercle léger. Sa main s’était mise à dessiner, son esprit s’était mis à virevolter bien loin, bien loin, des histoires de Thaerahm et Quorin, de Gahrene et de cette -vraiment trop vieille- guerre civile.
- Célestiane !
Du haut de ses huit ans elle ne fit même pas semblant d’avoir écouté un traître mot. Inutile, les remontrances auraient été pire encore. Elle posa la plume, joignit ses mains sur ses cuisses et courba l’échine, les yeux baissés.
- Pardon mère.
La grande elfe qui lui faisait face, livre en main, soupira longuement. Avec deux doigts, elle se pinça l’arrête du nez, agacement réel mais quelque peu forcé. La petite fille le savait bien et un léger sourire étira ses lèvres.
- Inutile de me faire cette tête là Célestiane ! La réprimanda t-elle en agitant un index accusateur. L’Histoire est importante, tu devrais te concentrer plutôt que te mettre à dessiner je ne sais quoi.
Ce faisant elle attrapa la feuille où s’affichait le délit de sa plus grande fille. Une mine résignée s’afficha alors sur le visage parfaitement lisse de sa mère. Et oui. Encore un cheval.
- Il faut que tu arrêtes de regarder toutes ces images dans les livres. D’ailleurs je devrais dire à qui tu sais – elle envoya un regard appuyé sur l’enfant- de ne plus t’en apporter. Tout ça te déconcentres et te remplis la tête de bêtises.
- Mais ce ne sont pas des bêtises Mère ! S’insurgea t-elle. Ils sont magnifiques je trouve, oh j’aimerais tant en monter un !
La mère soupira alors de nouveau, écoutant sa fille se mettre à lui répéter encore son couplet sur l’extérieur, les autres peuples, les animaux… Que n’avait-elle déjà entendu ça des dizaines de fois. Elle avait rêvé d’une fille à son image -douce, noble et polie- et elle se retrouvait avec une aventurière en herbe. Et elle continuait à parler, à parler. Heureusement ses deux petites sœurs ne semblaient pas prendre le même chemin. Un soulagement pour la mère qui referma son livre et passa une main légère dans les longs cheveux blancs de sa fille.
- Aller cesse de me parler de ça, je crois que ton frère a une surprise pour toi dehors.
La promesse d’un cadeau fit taire l’enfant d’un seul coup. Elle demanda confirmation et sans attendre la réponse partit en trombe en direction des jardins extérieurs.
- Célestiane attends ! Cria sa mère, mais en vain. Tes chaussures… geignit-elle.
Encore des collants à jeter en perspective.