« Un premier amour jette dans le cœur de profondes racines qui étouffent jusqu’aux germes des sentiments antérieurs »
Auguste Villiers

L’agitation était à son comble depuis des jours, depuis des semaines. Derrière les hautes vitres de la maison familiale, le nez collé au carreau, elle voyait les rues se gorger d’êtres fantastiques. La guerre avait éclaté au Nord, du haut de ses 12 ans elle n’avait pas tout compris mais elle avait retenu un nom : Les Argons. Du peu qu’elle avait pu entendre elle s’en était fait une idée assez horrible pour l’empêcher de dormir la nuit, pour la pétrifier au simple fait de devoir poser le pied au sol alors que n’importe quoi aurait pu sortir de sous son lit.

- Rien ne va sortir de sous ton lit pauvre idiote ! la taquina son grand-frère. A 12 ans tu crois encore au croque-mitaine ?!

Il s’était moqué d’elle pendant des jours après ça. Vexée, elle se jura de ne plus jamais rien confier à cet avorton.

Les jours, les semaines, les mois passèrent. Ses parents lui avaient interdit de ne serait-ce qu’approcher un de ces étrangers. Mais elle en mourrait d’envie. Elle voulait savoir comment ceux-là pouvaient naître avec des cornes, et les autres là, leurs ventres étaient gigantesques, comment tenaient-ils debout ?

Un jour elle n’y tint plus et deux secondes d’inattention de la part du garde de l’entrée lui permirent de se faufiler à l’extérieur. Ce jour, le lendemain, le sur-lendemain, et le jour d’après, et encore, et encore…

La fin de journée arrivait, elle était exténuée mais toutes les histoires que racontaient les Barakas étaient exceptionnelles. Cela valait bien la peine de courir toute la journée. Elle rêvassait, le nez en l’air.

- Et bien Mademoiselle, on joue les filles de l’air ?

Ses muscles se crispèrent et elle s’arrêta net. Sa tête rentra entre ses épaules et elle adressa à sa mère une expression désolée très peu convaincante.

- Tu pensais vraiment que je n’en saurais rien ? Lui demanda t-elle sur ce ton doucereux qui vous hérissait les poils de la nuque. Elle posa une main sur l’épaule de sa fille et la guida vers la maison.

- Non, je, enfin… Si, bien sûr que si Mère vous alliez le savoir ! Mais ces gens sont tous tellement merveilleux ! Vous leur avez parlé Mère ? Vous savez ce qu’il se passe au Nord ? Ou même sur l’autre continent ! Vous devriez écouter toutes ces histoires Mère !

Et le déluge de parole continua, interrompu, passionné, convaincant. Qu’aurait-elle pu y faire ? Sa fille portait au monde un intérêt et un amour si forts que l’enfermer ne servait à rien. Quelques réprimandes, beaucoup de conseils, des promesses et des menaces et la soirée se terminait.

Que n’avait-elle enfanté une dame plutôt qu’une baroudeuse.

Depuis peu elle aidait à l’hospice général, de nombreux réfugiés arrivait encore et encore des plaines du Nord. Elle s’occupait de ceux qui n’avaient que quelques bosses et contusions mais elle mettait une ardeur folle au travail. Elle pansait, désinfectait et prononçait même quelques petits sorts de guérison.

- Tu te débrouilles bien.

La voix était sortie de nulle part. Enfin. Plus précisément d’au-dessus de sa tête. Une voix chaude, profonde. Tellement prise dans sa tâche, elle en avait oublié de regarder qui elle soignait.

- Euh, je, je… Oui ! Enfin, non ! Euh, je… Merci…

Il avait le teint cuivré de ceux de sa race, des cornes sombres, des cicatrices très prononcées. Et quelques blessures sans gravité. Elle avait d’ailleurs terminé.

- Voilà j’ai fini !

- Tant mieux dit-il en se relevant d’un bond. Il ne devait avoir que quelques années de plus qu’elle. Peut-être 16 ans, peut-être 17. Elle le détailla alors qu’il ramassait ses affaires. Elle se demandait s’il venait du front. Où s’il était un voyageur prit dans la tempête de la guerre. Ou tout un tas d’autre chose.

- Je m’appelle Syran, et toi ?

Elle mit un instant avant de réaliser que c’était à elle qu’il s’adressait.

- Euh oui, pardon ! Enfin non, je m’appelle pas oui ! Je m’appelle Célestiane !

Visiblement amusé il lui caressa rapidement la tête avant de s’en aller. Elle se sentait étrangement… étrange. Bien, légère, fébrile. Une sensation divine.

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