Archive pour avril 2010
Il fait presque nuit maintenant, en plein jour c’est déjà pas très clair dans le coin mais alors maintenant c’est carrément glauque, je déteste la forêt… Non c’est pas vrai, j’adore être ici.
Bon, qu’est-ce que je fais ? Je le touche ou pas ?
Misère, comment j’en suis arrivée là, vraiment j’ai la poisse moi.
En plus je saigne de partout, je vais avoir mal si vraiment il se passe ce que je pense qu’il va se passer. Je m’embrouille toute seule en plus !
Je ne me souviens pas bien de ce qui m’est arrivé, si je rentre trop tard Finagord va encore m’engueuler… Et il est vraiment trop moche quand il essaie de faire des grimaces de réprimandes, c’est ça qui fait le plus peur.
Quand je pense que dans moins de deux semaines j’aurais eu seize ans, c’est pas de chance.
Bon je le touche ou pas ?
Du calme ma grande, aller courage, c’est rien d’autre qu’un cadavre…
Mais c’est le mien ! En plus je parle à ma conscience !
Arrête de te parler à toi-même et touche le aller ! Tu sais très bien ce que ça signifie !
J’arrive pas à me souvenir… Aller ferme les yeux et essaie de te rappeler…
On était en plein jour, il devait être proche de midi, malgré l’ombre il faisait une chaleur sourde et humide. Comme chaque jour à cette heure là je suis partie m’enfoncer dans les bois, pour échapper quelques heures aux réprimandes de ce vieux fou. Depuis quelques mois il passe son temps à me chercher des noises, et plus je riposte pire c’est, alors chaque jour je viens ici.
Et puis une chose étrange s’est produite, les plus anciens m’en avait déjà parlé.
J’ai entendu un grondement de tonnerre assourdissant, comme s’il était juste au dessus de moi, à la cîme des arbes. Je ne voyais pas grand chose mais le bruit était terrible. Les couleurs autour de moi ont commencé à changer, comme aspirées, j’ai levé la tête et là j’ai compris.
Un portail déchirait le ciel, et je savais ce qui allait en sortir.
Les Elyséens n’ont pas bonne réputation chez nous et les générations qui nous précèdent prennent un malain plaisir à nous raconter toutes sortes d’horreurs sur eux et sur ce qu’il nous feraient si jamais ils nous tombaient dessus.
Alors j’ai rassemblé tout mon courage… J’ai fuit aussi vite que mes jambes me le permettaient.
Le paysage défilait à une vitesse folle devant moi. J’évitais au maximum les racines, les trous, les obstacles. Ma gorge bouillonnait, mes oreilles étaient brûlantes et je sentais mes poumons qui menaçaient d’exploser. J’essayais vainement d’accélérer, d’aller encore un peu plus vite.
Ils me rattrapaient, j’entendais des craquements, des cris derrière moi mais je n’avais pas le temps de me retourner.
Je courais, en essayant d’aller toujours plus vite.
Combien étaient-ils ?
Des sifflements parvenaient jusqu’à mes oreilles, à un moment j’ai crû qu’ils se dispersaient. J’avais mal aux jambes, aux pieds, mes paumes étaient entaillées tellement je serrais les poings.
J’avais mal.
J’avais du mal à respirer.
J’avais mal.
Je voyais la lisière de la forêt devant moi, puis un sifflement à déchiré l’air derrière moi, je me suis écroulée.
A l’aide… J’ai tenté d’appeler mais je crois qu’aucun son n’a franchit mes lèvres.
Après c’est le trou noir.
Moi qui passe mon temps à fredonner, à rire et à chanter… Je crois que je ne me suis jamais sentie aussi désemparée que ces quelques secondes où je n’ai pu laisser échapper aucun son.
Je n’ai jamais eu aussi peur.
Bon.
Aller, maintenant j’y suis, fais toi une raison ma grande, touche le.
Je regarde vaguement la scène devant moi. mon corps est dans un sale état, mon dos est lacéré et je vais devoir rentrer en tenant certains morceaux de mes vêtements, mais c’est bien le dernier de mes soucis. Les anciens refusent toute présence de daeva au sein du clan…
Je me baisse lentement et approche la main de mon cadavre, c’est si étrange, la sentation est bizarre, je me sens aspirée.
Oh mon Dieu ! Sainte Pandemonium ! Ca fait mal !
Je prends de grandes bouffées d’air, bouge violemment dans tous les sens. J’ai l’impression d’être brûlée de l’intérieur, l’air dans mes poumons me fait atrocement mal. J’espère ne plus jamais avoir à faire ça ! Mourir ça peut aller, renaître c’est… Atroce !
Je tousse violemment et essaie de me relever comme je peux. A peine sur mes pieds je tente d’avancer mais je titube et retombe lourdement par terre.
Ma respiration est bruyante et douloureuse, je vais attendre encore un peu, tant pis pour Finagord.
Rien ne serait arrivé s’il n’avait pas été aussi sournois.
Chaque épreuve est une bénédiction, puisqu’elle purifie et délivre des péchés.
Il n’y a pas d’héroïsme sans cicatrices.
- Et tu me diras ce que ça fait hein ?!
La blondinette avait un air grave sur le visage, comme si le simple fait de savoir « ce que ça fait » allait changer son existence. Non vraiment… Dans quoi elle s’était embarquée encore.
- Mais laisse moi tranquille avec ça, il va rien se passer du tout je te dis !
- Mais Fauvine ! S’indigna t-elle, c’est important ! Tu vas devenir une femme avec ça !
- Une femme ? Tu plaisantes j’espère ? Je vais devenir rien du tout si ce n’est celle sur qui on se retourne parce qu’elle aura fait un truc stupide un jour !
- Mais non ! Et puis comme ça tu sortiras d’ici ! Au moins quelques jours !
Sepha arborait un de ces sourires-courges qui lui coupait le visage en deux, d’une oreille à une autre. Impossible de répondre quoi que ce soit quand elle avait cette tête là, ça lui donnait une envie irrépressible de rire… A laquelle elle s’adonna sans aucune vergogne et pendant de longues minutes.
La blonde prit son mal en patience, un petit sourire victorieux sur le visage. Elle le savait bien elle, que Fauvine aurait donné n’importe quoi pour sortir un peu et faire autre chose que ranger-servir-coiffer-nettoyer à longueur de journée. Elle attendit que la petite brune se calme et reprenne son souffle, elle aimait bien la voir rire comme ça, c’était suffisamment rare pour être précieux. Et « toute chose rare est précieuse » comme le lui répétait souvent son précepteur.
- Bon bon. Je vais y aller mais je suis sûre qu’il ne se passera rien.
- Roh aller ! Répliqua Sepha et lui donnant un petit coup de coude, je suis sûre que toi aussi tu n’attends que ça ! Jerod est un beau garçon, il est gentil et puis… La fille Temehon l’adule, rien que pour ça ça vaut la peine de faire n’importe quoi !
En y pensant c’était vrai. Mérésa de Temehon bavait proprement et simplement devant Jerod. Fauvine sourit doucement, ce serait cruel de faire une telle chose à celle qui empoisonnait sa vie depuis des années… Vraiment cruel mais… La vengeance est un plat qui se mange froid. Et elle aimait bien assez Jerod pour ne pas le laisser agoniser entre les griffes de cette harpie.
Elle ramassa les linges qu’elle venait de finir de laver et les remis tous dans le bac avant de l’empoigner et de repartir vers le manoir, le blonde sur ses talons.
- C’est d’accord, demain je partirai à la foire avec Jerod.
- Et comme ça tu échapperas pendant cinq loooongs jours à ta terrible Maîtresse ! S’exclama Sepha en sautillant.
- Et à Mérésa ajouta Fauvine.
- Et à Mérésa répéta Sepha qui pouffa de rire sans aucune discrétion.
La blonde la laissa quelques mètres avant le manoir, la Baronne n’aimait pas la voir et si elles les surprenaient ensemble Fauvine en aurait largement prit pour son grade. Des histoires de nobles il paraissait. Le père de Sepha s’était engueulé avec le Baron et depuis c’était la guerre entre ces deux familles.
Elle soupira, ça ne devait pas être simple pour son amie non plus, d’autant que son précepteur était un vieux hibou acariâtre et rabat-joie. Fauvine ne comprenait pas bien pourquoi Sepha l’admirait tant, sûrement encore une des différences dans leur éducation. Elle, elle n’en avait aucune, alors forcément beaucoup de choses lui échappait.
- Tu en as mis du temps !
- Pardon Madame, les lavoirs étaient tous occupés.
- Je m’en fiche, il commence à faire sombre ça n’aura jamais le temps de sécher !
- Je les mettrais au dessus du feu.
- C’est ça. Prends garde à ne rien brûler, ce qu’il y a là-dedans vaut plus que ta petite personne.
Elle s’éloigna de la Baronne à grandes enjambées, lui tournant le dos elle fit quelques mimiques en répétant les paroles âpres de la mégère. Dieu que cette femme lui pesait. Elle traversa la cour, les communs et les couloirs en courant presque, le bac tirant lourdement sur ses bras.
Elle finit par le déposer en soupirant de soulagement, ce truc pesait une tonne ! Elle resta là quelques minutes à regarder les domestiques passer devant elle. Ils s’affairaient pour une grande cérémonie qui avait lieu dans trois jours, les Maîtres célébraient leur nouvelle alliance avec elle-ne-savait-trop quelle famille. Peut importe, tout ce qu’elle voyait c’est qu’elle avait le triple de travail à faire ces jours-ci, heureusement demain Jerod et son père partaient pour la foire. Prétextant avoir besoin d’elle ils avaient demandés à la Baronne la permission de l’emmener avec eux, ça faisait longtemps que Fauvine avait décidé d’y aller.
Elle allait pouvoir souffler un peu.
- Au travail la muette ! ‘pas la peine de te reposer comme une vache y a du boulot !
La grosse Mé’ lui tapa sur la tête avec une baguette de pain, elle ne lui répondit pas, comme à son habitude et se releva en empoignant le bac de linge.
« La Muette ». Comme elle ne parlait qu’à de très rares occasions et finalement à très peu de personnes on l’avait rapidement affublé de ce surnom. Au moins… Personne n’essayait jamais de lui faire la conversation et c’était très bien, aucune raison de se lier avec toute cette troupe de serviles et de fourbes.
Elle grimaça en passant devant un des grand miroirs qui ornaient les couloirs. Elle aussi était comme ça. Elle n’arrivait juste pas à s’y faire.
Un vrai serpent. Cette femme était un serpent. Elle sentait son regard posé sur elle à travers le miroir et ça l’ennuyait profondément. Cependant elle n’en montrait rien, elle avait bien retenu la leçon.
Elle l’entendit reposer le peigne en ivoire sur le marbre de la coiffeuse et arrêta aussitôt son geste, reculant d’un pas.
- Non, continue, ce n’est pas encore parfait.
Elle fit un petit geste vif de la tête et reprit sa place. Du bas vers le haut, faire attention qu’aucun petit cheveu ne se rebelle, il fallait que sa satané tignasse « miroite ». Plusieurs minutes s’écoulèrent dans le silence complet, le regard de la Baronne toujours posé sur elle, elle eut du mal à ne pas froncer les sourcils. Dieu que ça lui pesait.
- Ça ira Fauve, vas chercher les rubans.
Elle acquiesça rapidement et se dirigea vers une commode en bois sombre avant d’en fouiller les tiroirs un à un. Elle savait que ça l’énervait.
- Mais bon sang ! Idiote ! Le troisième ! Ne vas-tu donc jamais le retenir ?!
Un sourire victorieux passa fugacement sur ses lèvres. Trop facile. Elle prit la boîte à ruban là où elle était et retourna vers la Baronne, furibonde, avec un air désinvolte.
- Quelles couleurs Madame ?
Elle savait qu’elle jouait avec le feu. Cette femme était agressive et impatiente, elle pouvait faire ce qu’elle voulait d’elle. Mais c’était, à chaque fois, trop tentant.
- Blanc et Or répondit la Baronne d’une voix éraillée qui débordait de colère mal contenue.
- Bien Madame.
Elle ignora superbement les regards assassins qu’elle lui lançait et entreprit de nouer méticuleusement chaque ruban dans la longue chevelure blonde de la noble. Que de temps perdu pour des bouts de tissus qui ne tiendraient en place qu’une heure…
Devant son miroir la femme, Maîtresse de toute la maisonnée, observait chacun des gestes de l’adolescente. Elle n’arrivait pas à lire en elle et ça l’agaçait fortement. Elle n’avait aucune emprise sur cette sauvageonne.
- Voilà Madame
A ces mots la Baronne cessa d’examiner sa jeune servante et regarda son reflet dans le miroir. Sa coiffure était correctement rehaussée, les rubans parfaitement disséminés. Comme d’habitude elle n’avait rien à redire et une mimique énervée se dessina quelques secondes sur son visage avant de disparaître.
- Comment tu me trouves ?
- Très belle Madame.
Fadasse et ridicule.
Ses parents lui avaient toujours dit de ne pas mentir, d’être honnête. Vivre aux côtés des nobles de Lordaeron lui avait enseigné l’inverse. Comme quoi…
La Baronne se leva prestement, balança à terre le peigne qu’elle tenait dans sa main et sortit de la pièce sans un regard pour la jeune fille qui resta plantée là quelques secondes. Son regard se porta vers la coiffeuse, passa rapidement sur la porte qui venait de claquer et se posa sur la fenêtre ouverte.
- Et je m’appelle Fauvine.
Plusieurs centaines d’hommes et de femmes. Des engins de siège, des montures, des râteliers d’armes ambulants. Et le bruit. Le vrombissement de cette gigantesque construction emplissait l’air tout autour, résonnait jusque dans ses os. Et cette couleur. Verte. Qui tournoyait, ondulait, derrière il lui semblait voir l’infini de l’espace, des étoiles à perte de vue.
Un soldat plus zélé que les autres passa à côté d’elle en la bousculant, le choc des protège-épaules en plaque se répercuta dans ses oreilles la faisant brusquement revenir à la réalité.
- T’excuses pas surtout !
Mais il était déjà loin. Comme les autres elle attendait, en rang, perchée sur son destrier, son armure lui tenait chaud, son arme et son bouclier lui vrillaient le dos. Des heures qu’elle faisait le pied de grue devant ce « truc ». Un des mages lui avait dit qu’il s’agissait d’une porte. La Porte. Celle qu’avaient emprunté les Orcs la première fois. Un gros machin vert qui faisait un bruit du diable, c’était tout ce qu’elle voyait.
Un cor résonna, suivit d’un autre, puis d’un autre. Chacun alerta le corps d’armée qui lui était destiné. L’Infanterie, la Cavalerie, le Siège… Tiwel s’ébroua et se mit en marche, suivant la cadence molle et répétitive des autres chevaux devant lui. Son détachement s’avançait vers le vortex, l’idée fugace qu’elle allait se faire engloutir la traversa et elle la balaya d’un revers de la main. Ce n’était pas le moment. Elle n’avait même pas peur, non, elle n’attendait que ça, en découdre.
Le cor de la Cavalerie retentit de nouveau et un frisson s’empara d’elle. Elle savait sa fille en sécurité, et personne d’autre ne comptait. Elle allait pouvoir se battre sans penser à rien, sans rien pour la freiner. Un sourire mauvais se dessina sous son casque. Elle avait hâte.
La lente procession des destriers s’engouffrait par la Porte et bientôt se fut son tour, elle garda les yeux grand ouverts mais ne vit rien jusqu’à ce que se dessine devant elle les corps colossaux des Commandants des Abîmes. Ces démons qui se dressaient vers le ciel. On leur en avait parlé juste avant qu’ils se rassemblent. Quelques destriers se cabrèrent et se mirent à ruer, proprement affolés par la vue de ces horreurs. Sous elle, elle sentit Tiwel frémir. Elle lui flatta doucement l’encolure.
- Bientôt mon grand…
Le calme revint dans les rangs et on leur fit signe de bifurquer vers la gauche. Le campement avancé de l’Alliance était de ce côté. De l’autre… Elle apercevait celui de la Horde.
Le Commandant Duron se chargea de les « accueillir ». L’arrivée en Outreterre était faite. Il était maintenant temps de prendre part au combat. Il ne fallait même pas songer à retourner en arrière.
Son détachement de Paladin fut séparé en plusieurs sections. Elle fut envoyée vers un certain Amish Marteau-Hardi, très probablement du clan du même nom, avec cinq autres cavaliers. On leur confia un griffon chacun, des cartes et de quoi tenir pendant tout le voyage. Ombrelune, c’était leur destination. Bastion des Marteaux-Hardis plus précisément. On leur expliqua que la Légion y avait un bastion important, que la région était prise d’assaut par des morts-vivants, des démons de toutes sortes et bien d’autres choses encore. Leurs destriers emprunteraient la voie terrestre, ils serviront au convoi d’armes le temps de faire le trajet. Elle en connaissait un qui n’allait pas apprécier. Tant pis.
Les autres paladins confièrent leurs montures avec plus ou moins de réticence. Et ils se dirigèrent vers les griffons cuirassés qui les attendaient un peu plus loin.
Une femme du groupe les interpella, Dedjinn remarqua qu’elle tremblait. Elle l’avait déjà vu tout à l’heure dans le cortège.
- Vous… Vous croyez qu’on va trouver quoi là-bas ? J-je veux dire à « Ombrelune »
Elle la dévisagea quelques secondes avant de lui tourner le dos pour enfourcher sa nouvelle monture.
- Retourne d’où tu viens. T’as rien à faire ici. T’as peur et ça nous apportera que des emmerdes.
Un coup de talon sec et le griffon s’envola