Un vent froid lui fouettait le visage et lui glaçait les mains. Ça faisait des jours qu’elle marchait sans même savoir où elle allait. Elle se contentait de suivre la route, aux croisements elle fermait les yeux, tournait sur elle-même en tendant le bras, et lorsqu’elle s’arrêtait elle prenait la direction la plus proche de son doigt.
- Tu pourras pas continuer éternellement comme ça.
Il avait plu dans la journée et la terre était lourde sous ses pieds, elle avait faim et froid. Ça faisait quelques heures qu’elle apercevait les cimes de constructions au loin, mais elle n’avait pas l’impression de s’en être rapprochée d’un iota malgré toute la distance qu’elle avait parcouru. Un soupir agacé se fit entendre…
- Mais c’est pas vrai, qu’est-ce que j’en ai marre ! J’ai froid, j’ai faim, j’ai les orteils qui vont tomber j’suis sûre !
Elle se laissa tomber comme une masse sur un rocher qui bordait la route, enfin le truc en terre qui servait de chemin, et se mit à parler toute seule pendant de longues minutes. Elle invectiva le monde entier, les nuages, la pluie, ce stupide lapin qui passait par là, les forces de la Nature et cette satané voix qui la harcelait !
Puis elle se tut et resta plusieurs minutes dans le silence complet, fait rare pour elle, quand un bruit lointain lui fit relever la tête. Ça se rapprochait. Bientôt elle distingua un attelage de deux bêtes qui tiraient une roulotte. Elle se redressa vivement et fit de grands signes aux… Shugos lui semblait-il de là où elle était.
- Hey ! Hey ! Arrêtez vous !
La roulotte trembla plus vivement et s’arrêta à sa hauteur. Une shugo tenait les rênes et lui sourit poliment.
- B’jour Mamz’elle ! Z’avez pas l’air en grande forme !
- Oui ! Enfin non ! Peut importe ! Vous pouvez m’emmener jusqu’au village le plus proche ?
La créature remua doucement le museau, comme pour flairer l’entourloupe mais se décida finalement à la laisser monter.
Saraban soupira de soulagement, elle allait pouvoir souffler un peu.
Le trajet se passa en silence, du moins en apparence. La jeune femme avait appris à se contenir depuis quelques mois, elle s’énervait toujours autant, ça s’entendait juste moins.
La charrette et son chargement arrivèrent au village deux heures plus tard et la nuit tombait déjà. Superbement soulagée de n’avoir pas à dormir dehors une nuit de plus Saraban descendit et remercia la shugo avec entrain et un sourire qui allait d’une oreille à l’autre.
Il n’y avait plus grand monde à cette heure-ci, le froid glacial obligeait les gens à se terrer.
Elle couru pour trouver l’auberge la plus proche et y entras avec fracas. La serveuse la reluqua quelques secondes.
Elle savait qu’elle ne payait pas de mine, elle devait être couverte de boue, les vêtements humides et surtout en sale état.
- Z’avez d’quoi payer ?
- Bonjour grognasse…
- Ouais répondit-elle avec autant d’amabilité
- Montrez voir lui demanda la tenancière avec un regard suspicieux
Elle grogna pour la forme et sortie une petite bourse en cuir sombre d’une de ses larges sacoches. Elle la secoua un peu et le bruit des pièces s’entrechoquant tinta ce qui fit sourire -ou grimacer elle ne savait pas bien- la bonne femme.
- ’sseyez-vous ! Z’avez l’air fatiguée, j’vais vous apporter un truc chaud.
Elle se laissa tomber sur une chaise proche et s’accouda à la table. Elle huma doucement l’air. L’odeur des cuisines arrivait à surpasser celles de l’humidité et de la sueur ambiantes.
- Ils doivent pas aérer souvent.
Elle grogna pour la forme. Tout ce qu’elle voulait c’était se remplir l’estomac et aller se coucher. Elle porta son bras à son visage et renifla sans discrétion l’intérieur de son coude… Bon. Il fallait aussi qu’elle prenne un bain.
- Quel calvaire souffla t-elle
C’était pas qu’elle aimait être sale loin de là, mais elle trouvait que ça lui prenait trop de temps. Le pire c’était ses cheveux, une vraie catastrophe.
- Si tu te lavais plus souvent se serait moins long à chaque fois.
Elle releva brusquement la tête, sortie de sa rêverie, la serveuse se tenait devant elle, un sourcil levé et un plateau en main.
Elle bredouilla quelques mots incompréhensibles puis la femme soupira avant de déposer une assiette fumante devant elle et de retourner d’où elle venait.
- C’est quoi ?
Un bout de viande flottait dans un bouillon saumâtre. Quelques légumes se battaient en duel et le tout avait une odeur bien particulière.
Elle haussa les épaules, ça suffirait bien à apaiser son estomac et à la faire dormir d’une traite pendant les dix heures à venir.
Son repas engloutit elle monta les escaliers quatre à quatre et s’engouffra dans la chambre qu’on lui donna. Une pièce petite, dénuée de décoration, une seule fenêtre et un lit pour une personne et demi.
- On va pas dormir par terre c’est tout ce qui compte.